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*GARE à TON CUL.

--> Enquête sur la pornographie à l’âge de la Grande-Pompe-à-beurre

GARE à TON CUL.
Enquête sur la pornographie
à l’âge de la Grande-Pompe-à-beurre




-> Source: "Les éditions hermaphrodite"


Enquête sur la pornographie à l’âge de la Grande-Pompe-à-beurre





par Christophe Mileschi,


à lire à haute voix

Pornê : prostituée - graphie : écriture.
La pornographie, c’est l’écriture des putes, donc, ou l’écriture-pute, où écriture vaut par extension (par excroissance) pour toute autre forme de manifestation de l’être. La pornographie, c’est l’art qui vend son cul pour faire du fric. Mais le terme s’applique aussi s’il n’est pas question de fric : si j’affiche gratuitement sur la porte de chez moi une photographie géante de mon rut, on hurlera à la pornographie sauvage, on m’attaquera, on me condamnera, on me pendra par les couilles. En combinant (en accouplant) obscénité et fric, la langue, qui veille sur la récolte et la bonne marche des affaires, disqualifie d’emblée l’obscène. Comprenons : le corps, d’essence divine, ne peut pas être vendu, parce que l’argent est sale, tabou, caca ; mais l’inverse aussi : le fric, sacré, ne peut être l’objet d’une transaction qui implique le corps, impur. Radicale incongruence, en tout cas, entre pèze et baise. Il faut que celle-ci soit contrôlée par celui-là : devienne une denrée, un objet qui vaut tant et qui rapporte tant : que l’on paie pour le cul comme pour boire pisser habiter respirer nettoyer l’air vicié par le fric. Le monde doit se garder de l’immonde. Dire « pornographe », c’est comme parler d’un médecin qui, pour convaincre les gens de venir se soigner chez lui, leur sucerait le sexe pendant la consultation ; ou d’un curé qui vendrait les hosties sous la soutane. On rencontre donc une première et terrible difficulté : quels mots employer ? Car, évidemment, dans ce qu’on appelle indistinctement pornographie, il y a du bon, du vrai, du nécessaire, du vital. Bon dieu, voir des culs des chattes des queues des seins des corps se heurter s’enlacer se sucer se griffer se fourrager se ravager se dégager s’engager se mordre se pétrir se flétrir resplendir jouir, bon dieu, tu sais comme c’est bon. Le monde est né d’un jet de sperme de dieu qui se branlait en y pensant : que le cul soit, et le cul fut. Le fric, il n’est pas né de là, suffit de regarder baiser les singes. Mais quels mots employer pour appeler cela, qui dans ce qu’on appelle pornographie est bon et authentiquement saint ? (oui, saint, avec un t au bout, mais les autres graphies aussi, je me les mets au bout).

J’ai utilisé « obscène », mais obscène renvoie à sinistre, de mauvais augure (latin obscenus), et il a été rattrapé de longtemps par la morale-peine-à-jouir : sale, dégoûtant, le contraire de désirable. Il est vrai, obscena signifiait aussi excréments, c’est-à-dire, ayons la dignité de l’admettre : merde pisse vomi sperme mouillure sueur respiration pensée : un terme qu’on pourrait donc peut-être encore sauver, puisqu’il a désigné toutes ces belles choses, sans lesquelles point de vie, ces splendides produits de notre activité de singes bavards. On peut utiliser obscène, mais en précisant bien que penser parler chier mouiller éjaculer relèvent d’une seule et même irrésistible propension à l’excrétion. Les livres sont des merdes embaumées, où l’on voit de quoi l’auteur se nourrissait et s’il digérait bien. Et c’est pourquoi je les respecte. On pense aussi à « érotique », qu’en effet on oppose souvent à « pornographique ». Mais érotique a été de longtemps rattrapé par une littérature et une cinématographie répugnantes d’hypocrisie et toutes puantes de flous artistiques et de culs bénis. érotique, c’est l’obscène accoutré d’un tutu pour qu’on puisse lui faire traverser le salon sans que ça jure trop avec la médaille de pépé, la clio de maman, le tricot de mémé, l’attaché-case de papa, le bulletin scolaire des enfants. érotique, c’est une guenon que de délicates voilettes transforment en ange à peine sexué. Des voilettes, oui, et délicates, certainement : mais pour délicatement les soulever, fermement les écarter, follement les arracher et traquer là-dessous la bête, la bête-bite qui veut mettre sa bite, la bête-chatte qui en veut plein sa chatte. érotique, mon cul. Et les autres aussi. Il y aurait aussi « abject » : si l’abject est ce que l’on jette loin de soi (latin abjicere), ça peut marcher : ma queue qui se tend vers le corps de l’autre est abjecte : je la lance aussi loin que je peux de moi (il y a toute une palette de retardements exquis, j’entre un peu mais pas trop, je baguenaude aux abords, je m’impatiente patiemment, puis sans prévenir je m’abjecte) ; le corps qui jouit est abject, il se lance aussi loin qu’il peut de soi, loin, loin, hors de ce monde entravé (des raideurs persistent ici ou là, qu’elle localise et défait l’une après l’autre, et son corps devient de plus en plus souple, une glaise une bouillabaise une soupe cosmique où nous avalons-chions des avalanches d’étoiles). Mais on voit bien que si abject, ça marche poétiquement, ça ne marche pas sémantiquement : abject veut dire autre chose, le contraire de cette libération.

Il y aurait encore « immonde » : si l’im-monde c’est l’anti-monde, et si le monde, c’est ce qui est net, propre, pur (latin mundus), alors oui, le sexe comme je l’entends et le tends est immonde, résolument et fièrement et fermement im-monde : il est ce qui peut contrarier la mortelle pureté du monde, il est la contestation radicale, la plus profonde conchiance, l’omnichiance. Se balader nu dans la rue le sexe offert à la rencontre. Et crève la Bourse, vive les bourses ; crève l’horodateur, vive l’éros tâteur ; crève le recteur, vive le rectum ; crèvent l’ordre et l’ordure, vivent l’orvaille et l’orgie. Mais non, immonde ne va pas non plus, car on pense aussitôt à l’inverse de ce dont je parle. On ne résout pas ce premier problème : il n’y a pas de mots, ils sont tous confisqués par une langue au service du monde : un monde qui est, au sens strict, le théâtre d’une pornographie qu’aucune frontière n’arrête : un monde où tout se vend, où tout se fait pour se vendre, où les corps coûtent tant et rapportent tant, où les corps sont affichés pour que le désir éveillé et aussitôt frustré entraîne des singes en costume vers le dernier modèle de décapotable (sic), le dernier placement juteux (sic), la dernière barre (sic) chocolatée, la dernière génération (sic) d’antirides, d’antitranspirants, d’antidépresseurs, d’antitartre. Bande de pauvres cons, bande de sinistres et mortifères trous du cul que nous sommes. Il n’y a pas de mots, car le monde pornographe les a retournés contre nous. Alors, chacune, chacun, soyons le ring où nous rendons les coups, le singe et la singesse qui montre ses fesses. Et d’abord, donc, puisque nous sommes des colonisés par la langue et l’ordre et le fric, chassons l’envahisseur : disons les mots qui nous font peur, osons les gestes interdits, appelons un chat un chat, une chatte une chatte, les putes des putes : et je ne parle pas de ces femmes qui rue Saint-Denis ou ailleurs sont jetées sur le trottoir par le monde, mais des opérateurs boursiers, des chefs militaires, des indignés des droits de l’homme qui leur préparent le terrain et par avance justifient les grenades humanitaires. Je dis putes et je parle des vendeurs, spéculateurs, profiteurs, informateurs, menteurs, dissimulateurs, exploiteurs, boursicoteurs, percepteurs, précepteurs, racoleurs, enjôleurs, enjoliveurs, enrôleurs, présentateurs, mutilateurs, surveilleurs, contrôleurs, professeurs, inquisiteurs, mitrailleurs, mass-médiateurs, castrateurs : eux sont les vrais violeurs, les vrais enculateurs. Eux-mêmes violés et enculés par la mondiale Grande-Pompe-à-beurre. « Tu la sens, dis, tu la sens, ma grosse quéquette qui t’actionne et décide chacun de tes gestes et fait du fric de tes désirs ? Tu la sens, dis ? » dit-elle, ravie, écarlate de pèze, parce qu’elle sait que non, on ne la sent pas, on ne l’entend pas, on ne la voit pas. Et c’est ça qui la fait bander, la vieille Grande-Pompe qui a besoin d’enculer de violer en catimini pour bander, qui a besoin de notre silence. Il n’y a pas de mots ? Tant pis, reprenons ce qui nous appartient : alors je dis : je suis un singe abject, obscène, immonde, indécent, fécal. Je pense comme je chie, tous les jours, et j’aime ça. Je baise comme je bois, tous les jours, et j’aime ça. J’écris comme je trique, tous les jours, et j’aime ça. Et je suis, je pense, je chie, je vis contre ce monde, et je dis aussi : ceux qui s’horrifient à l’idée que des enfants puissent voir un film de cul à la télé ne sont en général pas du tout gênés par la télé elle-même, qui est le véritable scandale à dégueuler par la fenêtre, ni par le fait que ces mêmes enfants voient des corps mutilés, des multitudes affamées, des régions écrasées sous les bombes humanitaires, et des actions boursières se dresser comme des substituts d’érection. C’est qu’ils préfèrent préparer leurs enfants au monde : le monde où on mutile, affame, bombarde, et veille au capital : le monde où ils, ces mêmes enfants, seront appelés à (les uns), appelés à laisser (les autres) mutiler, affamer, bombarder, veiller au capital : le monde tel qu’il est parce que c’est ainsi qu’on le veut, et que nous continuons de le choisir, de le préférer, pauvres cons et sinistres et mortifères trous du cul que nous sommes, à l’autre monde, l’immonde : celui où l’on baise à couille et ovaire rabattus. et je dis encore : le film le plus crade, les photos les plus orgiaques, les gros plans les plus poilus, rien de cela ne fera jamais autant de mal aux jeunes esprits de nos enfants que la pub pour les céréales avec un cadeau dans le paquet, Disneyland, le Roi Lion. et je dis même : ce serait beaucoup moins néfaste, et même très profitable aux futurs adultes : les scènes de cul pleinement revendiquées, sans honte de notre simiesque humanité, ce serait plein de vitamines pour plus tard, et une meilleure croissance. Si au journal de 20 heures le présentateur était à poil en train de se faire sucer la bite par la présentatrice (ou le présentateur, on s’en branlerait dans tous les cas) de la météo, ou l’inverse, ou ce qu’ils veulent quand ils veulent où ils veulent, le journal serait moins pornouille, pornul, pornase, pornazi : on n’écouterait pas les infos, et ce serait tout bénéf pour tout le monde ; et on regarderait vraiment ce qui se passe à l’écran, et ce serait aussi tout bénéf pour tout le monde. Et même moi, j’aurais la télé. et je dis de surcroît : en laissant les enfants abandonnés à eux-mêmes dans le théâtre pornazi du monde, au moment du passage vers la vie sexuelle (c’est-à-dire : dès la naissance jusqu’à la mort), sous prétexte de les protéger d’images qui ne sont pas de leur âge, on les laisse à la merci de la Grande-Pompe-à-beurre, leurs désirs tout neufs avides d’immonde livrés pieds poings couilles vagins liés aux attouchements pervers de la pub télé mode toile, de tous les vicieux sournois tentacules : cacher aux enfants l’image des corps qui copulent, c’est sacrifier leurs vies adultes aux pédophiles légaux qui spéculent. ou bien je dis : spéculer sur le désir des gosses d’aujourd’hui adultes de demain, c’est en toute impunité les violer sous le regard approbateur des parents anciens enfants violés : pauvres cons et sinistres et mortifères trous du cul que nous sommes, qui ne savons même pas jusqu’où profond la Grande-Pompe nous l’a mise. Nos culs sont le garage-à-bite du Profit.

Assez ! Chiez l’envahisseur ! Éteignez vos postes de télévision, revendez vos parts dans les sociétés côtées en bourse, insultez les affiches de pub devant vos enfants, crachez par terre dans les banques, dites des mots très grossiers là où ne les attend pas, ne vous lavez pas tous les jours, en tout cas pas avec du savon, laissez paraître vos humeurs, celles du corps aussi, laissez votre chair bander ouvertement, dans un repas d’affaires ne dites pas « je vais me laver les mains » dites « j’ai envie de dégueuler », tirez la langue, dites le désir, flairez-vous, grognez, rampez, haletez, quittez vos airs de chiens savants, dégrafez les corsages, ne fermez plus vos braguettes, persuadez le plus de gens possible que jouir est la chose la plus sérieuse et joueuse du monde, et que les paillettes les starlettes les emplettes les carpettes les pétrolettes les amourettes les branlettes doivent laisser plus de place au branlage au suçage au pelotage au baisage au tripotage au fricotage au foutage au désir volage. Baisez, nom de dieu, baisez, c’est Lui qui vous l’a dit, c’est Lui et non le diable : la chasteté est l’instrument de votre esclavage.

Vous, mesdemoiselles mesdames, prenez de moins grands airs et montrez-nous ce sein que nous voudrions boire, et le reste aussi, mais pas comme une marchandise : votre sein comme un fruit gorgé de sève dans la bouche de l’assoiffé, votre chatte comme une source sur le visage du rescapé, votre ventre comme une plaine où s’allonge le voyageur, votre corps comme l’offrande à celui qui n’a pas plié sous le fer de l’inquisiteur. Cessez d’être des couvertures de magazines machistes en couleurs criardes sur papier glacé.

Et vous, messieurs, apprenez ce que consentir signifie, cessez de penser le sexe comme un exploit, comme un vol à la tire, comme un soulèvement d’haltères, jouissez de faire jouir, soyez la femme que vous êtes, que votre pine tendue caresse quand elle transperce, que vos gestes soient durs et empreints de douceur, secouez vos femelles en les enveloppant, attaquez en les protégeant, malmenez-les dans l’intelligence. Soyez de véritables brutes : attentives comme des bêtes en rut. Cessez d’être des soldats qu’on fait avancer à la trique, vos baïonnettes toujours prêtes à éventrer l’ennemie.

*

J’ai fait ce rêve : il y avait
plusieurs membres de viande ils pénétraient
tour à tour et ensemble une motte rosâtre
blanche veinée de sang de viande désirante
et ça jouissait bon dieu de dieu jouissait de ça

*


Consentir (sentir le con). Quand j’ai commencé à penser à cette question de la pornographie, c’est un des premiers mots qui m’est venu. Tout est là. La pornographie, telle que je l’exècre et la combats, c’est l’absence de consentement. Un film porno où tous les baiseurs consentent, pas seulement contractuellement, mais dans leurs chairs, leurs soupirs d’aise, leur avidité de la chair d’autrui, leurs grognements de porcs et de truies, est un film de vie d’amour d’esprit, un film immonde comme il en faut. Pas un film por-no, un film por-yes, un film en liesse. Mais la plupart, pour autant que je sache (on peut me suggérer des titres de films por-yes, je suis preneur), ne sont pas de ce genre : ce sont des films por-no, des films de ce monde-ci, où tout s’achète, se vend, fructifie. Tout, excepté peut-être le consentement : sauf si on a précisément besoin d’organiser une transaction pour jouir, cas rare sur lequel je ne m’étends pas et qui ne contredit pas ce que je dis (celle celui qui se vend ou achète pour jouir y consent : les prostituées ne consentent pas à jouir), le consentement ne peut jamais être acheté : on peut vendre son corps, son cul, sa femme, ses enfants, son temps ; on est tous plus ou moins obligés à des choses de ce genre ; mais on ne consent pas. Il reste, là-dessous, là-dedans, quelque part entre le nombril et le périnée, une zone de refus, de résistance. C’est de là que nous pouvons organiser la lutte.

Cessons de consentir au monde : consentons à l’immonde

Pour nos lecteurs sensibles, un peu de poésie classique, toute oiseaux qui gazouillent fleurs qui s’ébrouent et abeilles qui froufroutent, résumera plus respectueusement des bonnes manières le contenu de ce texte. Nous avons pensé, singulièrement, à l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons, qui veulent savoir et voir, et qui se persuadent que le sexe, c’est, après tout, ce qu’on leur en a dit et montré : que de temps perdu pour eux, que de gâchis pour tous, et quelle aubaine pour la Grande-Pompe et ses usines à mort :

Pour nos lecteurs sensibles, un peu de poésie classique, toute oiseaux qui gazouillent fleurs qui s’ébrouent et abeilles qui froufroutent, résumera plus respectueusement des bonnes manières le contenu de ce texte. Nous avons pensé, singulièrement, à l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons, qui veulent savoir et voir, et qui se persuadent que le sexe, c’est, après tout, ce qu’on leur en a dit et montré : que de temps perdu pour eux, que de gâchis pour tous, et quelle aubaine pour la Grande-Pompe et ses usines à mort :

J’ouvre tout grand la fenêtre
de la prison où croupit l’être
d’entre mes lèvres se dégorge
la liqueur gorgée de son orge
y coule aussi cette semence
du monde à venir en jouissance

Je montre ma bite aux passantes
qui passent me montrant leur fente
même habillés nous sommes nus
même éduqués avons un cul
mais notre désir est coté
en bourse avec Ford Nik Nestlé
il fait enfler les dividendes
il fait bander l’action marchande

Désirons hors le protocole
désirons hors le crottopole
ne bandons pas dans des idoles
foutons ici et maintenant
prenons-nous tous où ça nous prend

J’ouvre tout grand la fenêtre
de la prison où pourrit l’être
et mes ailes de singe humain
lèchent cons bites culs et seins

(sur un air connu)
Baisons enfants des parties,
le jour des glaires est arrivé.
Contre nous de la Friquerie,
laids, tant de dards sans gland sont levés.
écoutez-les, dans leurs campagnes,
chérir les slogans des magnats.
Ils viennent jusque dans nos draps
enculquer nos enfants nos compagnes.
Aux moules aux burnes, citoyens,
aux burnes aux moules, citoyennes,
léchons, foutons,
de jets d’azur, humectons les sillons.

occupe-toi du monde : occupe-toi de ton cul.


Christophe Mileschi Professeur des universités
Ecrit par post-Ô-porno, le Dimanche 5 Mars 2006, 16:10 dans la rubrique "Post-porn".
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