Princesses au petit pois dans le cerveau
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www.liberation.frPar Emmanuelle PEYRET
Samedi 23 septembre 2006
Dès la première phrase de l'étude Disney sur les princesses, les «mamans» et les petites filles, on a envie de se flanquer la tête dans une citrouille jusqu'à ce que le prince arrive avec un cubi salvateur : «Indéniablement la princesse est avant tout belle : parée d'une robe brillante, la chevelure ornée de la couronne symbolique. Quelle petite fille ne deviendrait-elle pas, quand elle se déguise, la plus belle des princesses, évocatrice de lumière et de féminité ?»
Le ton est donné pour 30 pages (écrites avec une pantoufle) où on navigue à vue de la nunucherie la plus exquise au cynisme le plus réjouissant. Vu que l'idée de Disney Consumer Products, division en charge des produits dérivés, est d'interviewer mères et filles (100 de chaque) pour mieux comprendre ce qui fait «des Disney princesses des héroïnes à part entière». Mais aussi, et surtout, pour mieux cerner ce qui corrélativement génère une sacrée manne de pépettes.
«Blondes». L'alibi sociologico-psychologique est de taille : définir les «fondamentaux attachés à l'imaginaire des princesses», en les récupérant comme propriétés Disney de manière sidérante. D'abord, précise l'étude, «la princesse est bien un être humain de sexe féminin» : voilà qui devrait clouer le bec de tous ceux qui les confondent avec des soldats de la Wehrmacht. Ensuite, nous dit une pauvre petite innocente prénommée Ophélie, 7 ans, «ça a des longs cheveux, souvent elles sont blondes». Commentaire (qui a dû être traduit d'une notice en coréen) : «C'est au regard de cette fameuse lumière indissociable de la princesse que les jeunes plébiscitent davantage la couleur blonde des cheveux, les plus âgées insistent davantage sur le genre cheveux longs.» Non seulement «elle a des animaux comme amis», mais elle danse et elle chante, un peu comme Lorie, tu vois, pour le côté princesse actuelle et moderne.
Côté «mamans», la grande qualité de la princesse, c'est qu'elle s'intéresse à autrui de façon gratuite, coeur, douceur, générosité, mais attention, hein, elle peut se transformer en bête sauvage battante et volontaire quand il s'agit «d'accéder à ses objectifs humanistes», si tu suis mon regard vers le pont de l'Alma. Elle a aussi fait «l'apprentissage rugueux de la vie», nous indique l'étude, décidément pas en mal de clichés. Et «petites filles et mamans se retrouvent autour de l'amour et de la bonne éducation», du couple formé par le prince et la princesse qu'on cherche à reproduire (rappelons qu'on ne voit jamais le prince et la princesse ensemble dans leur quotidien, puisque ça arrive à la fin, après de sombres affaires de pomme ou de pantoufle de vair).
Là où on rigole, c'est quand Disney, parlant de notoriété spontanée des «princesses Disney», place en tête Cendrillon, qu'on pensait pourtant née de la plume de Charles Perrault, ou sa copine Blanche-Neige, chourée aux frères Grimm, pour contribuer à l'entreprise de décérébration par les bons sentiments.
«Conflits oedipiens». On n'est pas au bout de ses peines, avec cette étude qui se donne des allures scientifiques (méthodologie, échantillonnage, base de données, etc.). S'ensuit un salmigondis crypto-analytique, la princesse étant une jeune fille, et du coup une rivale pour les «mamans» à l'adolescence... Quant aux dites «mamans», elles mettent en avant les valeurs familiales incarnées, ce qui «ne peut manquer d'étonner tant les drames familiaux jalonnent les histoires (abandon, infanticide, mort des parents)». N'oublions pas l'inceste dans Peau d'Ane, hein. Enfin, une vraie question : «La princesse ne posséderait-elle pas une place tranquillisante de repère pour une petite fille aux prises avec les conflits oedipiens ?» Pas bête, ça.
Et l'étude de s'esbaudir également de cette formidable modernité de Cendrillon, qui, certes, «travaille aux tâches ménagères, mais se bat pour réaliser son rêve». C'est-à-dire, en gros, épouser un type riche et beau. Si on peut se permettre, la formidable modernité ne se trouve pas forcément là. Décidément, la firme Disney, non contente de massacrer les mythiques contes de fée, fondateurs et symboliques, en les transformant en gueuseries glimouillantes et abrutissantes (cf. la scène culte du Blanche-Neige où elle chantonne une connerie entourée de petits oiseaux sous acide), réussit, avec d'audacieux parallèles (Star Ac, Lolitas etc.), à faire passer mères et filles amatrices de rêves et de paillettes, pour des Barbies pouffiasses. C'est Bettelheim qui doit se marrer.