Chansons homosexuelles des années folles
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Le coffret est rose bonbon. Il ne faut pas forcément y chercher une allusion aux envies coquines, mais le garçon et la garçonne qui y figurent annoncent la couleur : ce coffret regroupe cinquante-quatre chansons (1906 à 1966) "interlopes", fondées sur des thèmes louches après avoir été illégaux : la sodomie, l'homosexualité, le plaisir sans interdits. "Interlope" est un mot qui fut très utilisé dans les années 1920 et 1930, dominantes dans le coffret, "pour désigner des marginalités peu recommandables", écrit dans un livret passionnant et très complet Martin Pénet, l'historien de la chanson qui les a rassemblées.
"Cette pêche au trésor", poursuit Martin Pénet, a conduit "à découvrir qu'il avait existé une subculture homo, lesbienne et même transsexuelle avant les années 1970". Cette affirmation des goûts sexuels décalés se traduit en chansons grivoises, comiques ou plus graves, surtout quand il s'agit d'homosexualité féminine - les paroles étant souvent écrites par des hommes. Suzy Solidor, Mick Micheyl, Colette Mars, Fortugué féminisent cette compilation fondamentalement masculine.
LA LIBERTÉ DE DIRE
Le coffret s'ouvre avec un gros succès du début des années 1950, Mister Pétale, de Pierre Provence ("Pé, pé, pé, pé pétale, on m'appelle Mister Pétale", un tango à danser en après-midi lascives. Et puis, dans la foulée, Un monsieur aimait un jeune homme, du Guy Béart (1963) chanté par Juliette Gréco, militante du droit à aimer comme on veut - il s'agit du père et du fils, mais le quiproquo est maintenu jusqu'à la fin.
Une fois affirmée la liberté de dire, Martin Pénet choisit le retour sur l'histoire, avec O'dett, le "travesti déchaîné", directeur du cabaret Le Fiacre, où se produira la grande Fréhel et où débuteront Johnny Hess et Charles Trenet. Comparse de Pierre Dac, vedette du music-hall, O'dett puisait une partie de son répertoire dans celui du tout début du siècle - comme cet affriolant Roustalamagna, de Géo Koger et Vincent Scotto, comique troupier, coquin, tangent, enregistré en 1936 ("Chez moi, habitent deux demoiselles/Elles font leur petite cuisine entre elles/Et même la roustalamagna labachika..."
Les jeux sont multiples. Jacki nous décrit celui de La Tapette en bois (1933), pour lequel "chacun fait la queue" ; Jean Préheu décrit le Scandale teuton (1908) ; Maurice Chevalier découvre que C'était une fille (1920) ; Dranem demande à Henri pourquoi il n'aime pas les femmes ; Charpini et Brancato parodient Le Chanteur de Mexico (Nous voici réunis, sur l'air de Quand on est deux amis...).
Pour conclure, un échantillon de Dranem, qui décrit les travaux du métro observés de sa fenêtre où il fume la pipe par un homme aux idées "interlopes" dans le Trou de mon quai : "Y'a un quai dans ma rue, y'a un trou dans mon quai, vous pourrez donc contemplez le quai de ma rue et le trou de mon quai..." Au dernier coup de pelle, le trou de son quai sera bouché...
Véronique Mortaigne
Chansons interlopes, coffret de 2 CD Labelchanson.
Article paru dans l'édition du 24.10.06