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*« Syphilis, Opiomania, and Pederasty »

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« Syphilis, Opiomania, and Pederasty »





Franck Proschan, « Syphilis, Opiomania, and Pederasty » : Colonial Constructions of Vietnamese (and French) Social Diseases, Journal of the History of Sexuality - Volume 11, Number 4, October 2002, University of Texas Press, pp. 610-636

« Syphilis, opiomanie, et pédérastie » : Constructions coloniales des maladies vénériennes vietnamiennes (et françaises).

NOTES DE LECTURE:


Frank Proschan est un folkloriste, ethnologue, américain membre du Smithsonian Center for Folklife and Cultural Heritage à Washington (Centre de la vie folklorique et des patrimoines culturels), un centre de recherches culturelles et folkloriques. Il s’est beaucoup impliqué dans la région qu’il étudie, ainsi il est ou a été conseiller au Vietnam de l'Institut d’ethnologie, du Musée d'ethnographie, de l'Institut de la culture folklorique et du Département des héritages culturels, il est aussi conseiller auprès de l’UNESCO.



Dans cet article, Proschan s’intéresse à la corrélation entre syphilis, opiomanie et pédérastie dans les colonies françaises au Vietnam. Il déconstruit les représentations européennes des comportements genrés ainsi que du système de prostitution et des comportements sexuels qui interagissent avec la consommation d'opium. Pour se faire, l’auteur s’appuie sur les discours coloniaux français, essentiellement médicaux et militaires. À travers le texte de Franck Proschan, on comprend comment la représentation de « l’autre » dans une position infériorisée permet de conforter simultanément les dominations de genre et de « race ». Cette construction vise à justifier la conquête coloniale, mais surtout à organiser l’exploitation et la gestion humaine des colonies.


Franck Proschan se penche sur les écrits du médecin français Paul Michaut, membre de la société d’anthropologie de Paris, spécialiste à la fin du 19e siècle des colonies françaises d’Extrême-Orient. Ici, il s’agit de la colonie indochinoise, soit : la Cochinchine, Annam, le Tonkin, trois régions qui forment aujourd’hui le Vietnam, et du Cambodge. Michaut s’inquiète de la santé physique et morale des colons français soumis à bien des tentations dévastatrices sous ces latitudes « exotiques ». Ces fléaux ont pour nom : syphilis, opiomanie et pédérastie. L’observateur français affirme le danger que représentent les us et coutumes des colonisés pour le colon français.

La syphilis, infection sexuellement transmissible (IST), plus connue sous le nom de vérole, est une maladie virale aujourd’hui facilement guérissable, mais qui avant l’invention des antibiotiques, était très dure à soigner (à l’aide de mercure !) et le plus souvent mortelle. La doxa a souvent associé la syphilis à une maladie exotique ramenée en Europe par des marins venus d’Amérique au 15e et 16e siècle. C’est le mal venu d’ailleurs par excellence. On pensait alors que les conquistadors espagnols l'avaient ramenée d’Amérique en l'attrapant avec les femmes indigènes. La légende veut qu'elles-mêmes contractassent la syphilis par leurs époux bergers, qui partaient plusieurs semaines en montagne avec leurs troupeaux de lamas. Ce serait en ayant des relations zoophiles avec leurs animaux que ces pasteurs auraient été atteints. Cette croyance n’est pas sans rappeler la récente rumeur qui voyait dans la relation sexuelle homme/singe en Afrique l’origine du virus du SIDA.




Si la syphilis est présentée comme l’incarnation de la dépravation sexuelle interraciale, elle est aussi utilisée pour prouver la différence biologique des races. On prétend alors que cette maladie n’a pas les mêmes conséquences sur les indigènes que sur les colons, les colonisés accoutumés à ce mal étant plus résistants aux germes syphilitiques, il est même prétendu que les indigènes non contaminés sont des exceptions. La généralisation affirmée de cette contamination justifie la méfiance que doivent s’imposer les colons vis-à-vis des populations locales.

Mais cette méfiance est mise à mal par la consommation d’opium facilement accessible. L’opiomanie, elle aussi désignée comme un mal très répandu, serait responsable d’une léthargie mentale propice aux relâchements en matière de mœurs. La consommation d’opium n’est jamais loin de la prostitution, mais pas de la prostitution habituelle, celle des femmes, mais de la prostitution de jeunes hommes. Comme la syphilis et l’opiomanie, la pédérastie semble être aux yeux des observateurs coloniaux une des caractéristiques des comportements des indigènes d’Indochine.

La pédérastie décrit l’attirance sexuelle d’hommes adultes envers des garçons pubères. Si le public de métropole, a qui le discours colonial s’adresse, peut aisément s’accommoder de l’idée d’une « race » lointaine aux mœurs « contre-nature », en revanche, on peut l’imaginer plus réticent à l’idée de voir ses soldats et autres compatriotes s’adonner à de pareilles « perversions ». Aussi, pour expliquer ce fait, les « scientifiques » français vont argumenter, sur le fait que la distinction ("l’indistinction" ?) de genre et les habitus des populations locales sont responsables de l’avilissement des européens, en plus de l’argument climatique souvent évoqué.

La physionomie générale des hommes et des femmes d’Asie du Sud-est semble poser problème aux commentateurs de l’époque. En effet, les hommes et les femmes sont présentés comme des êtres aux traits, à l’accoutrement et aux métiers qui ne permettent pas de les distinguer. Toutes et tous occupent les mêmes tâches, ont la même coiffure (cheveux longs serrés en chignons sur le dessus de la tête) et les mêmes vêtements, cependant l’indifférenciation de genre s’arrête là. Les femmes sont décrites comme masculines et repoussantes, notamment par leur bouche « abîmée » par la chique du bétel. En opposition, les hommes, et surtout les jeunes hommes, sont dépeints comme très féminins, aux traits fins et juvéniles, aux gestes gracieux et sensuels. Les traits physiques du visage sont perçus comme indistincts, et les auteurs coloniaux s’étonnent tous de cette confusion des genres. Un de ces auteurs avance même l’idée, toute darwinienne, que la distinction des sexes est la preuve de évolution supérieure de la « race blanche » en opposition à la confusion qui règne au sein de la « race jaune » sous évoluée.

Entre des femmes qui n’en sont pas et des hommes qui le sont plus, il ne faudrait donc pas s’étonner de la confusion des sentiments des colons, sans compter l’opium corrupteur et le climat chaud et humide supposément propice à l’affaiblissement charnel. La généralisation de la prostitution pédérastique dans les centres urbains venant parachever le piège dans lequel sont pris les immigrants coloniaux. Le médecin militaire français, Jules Regnault, explique en 1902 que la pédérastie et plus généralement l’homosexualité est la conséquence d’une balance démographique défavorable aux femmes, les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe sont donc vues comme inhérente à la rareté des femmes. Une autre explication donnée trouve ses arguments dans l’organisation ploutocratique corruptrice de ces provinces dont le mode vie est le ferment des vices locaux.





La description de « l’autre », cet étrange individu, par sa « race, ses maladies et ses perversions, agit comme un négatif qui permet de révéler le modèle positif qu’est le colonisateur. Face à l’homme asiatique, gracile, efféminé, sensuel, drogué, vérolé et pédéraste, se dresse la figure de l’homme européen, victorieux, robuste, viril, musclé et hétérosexuel. Face à la femme asiatique masculine, sans formes, négligée et repoussante, se dresse la figure de la femme européenne, féminine, aux formes avantageuses, gracieuse et attirante. « L’autre » est substantiellement l’inférieur, et son rôle de dominé n’en est que plus naturel et le rend d’autant plus suspect, voire dangereux.

Dans cet article, Franck Proschan met en évidence le rôle des constructions conjointes des races, des genres et des sexualités dans l’entreprise coloniale française. Aussi, à l’heure du post-colonialisme, il est intéressant de voir dans quelle mesure ce discours a muté pour continuer à justifier la discrimination raciale sous une autre approche…


Jean-Raphaël Bourge.
Ecrit par post-Ô-porno, le Jeudi 11 Janvier 2007, 23:27 dans la rubrique "Histoire".
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