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*Travailleurs du sexe: Un métier à (ré)inventer

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Travailleurs du sexe: Un métier à (ré)inventer



Paris 2006


-> Une info lue sur : 360°.
Par Arnaud GALLAY

Dans un climat plus serein que celui régnant en France du fait de la «Loi Sarkozy», les travailleuses et travailleurs du sexe de Suisse tentent d’amorcer une réflexion collective sur leur métier. Face à des préjugés souvent intériorisés et face à la stigmatisation, ils tentent de gagner la reconnaissance et le respect dûs au plus vieux métier du monde, le leur.

«Je ne pense pas que c’est un boulot que tu peux prendre à la légère, où tu peux te dire: ‘voilà, je vais faire la pute, c’est super’. Non: il faut un minimum d’organisation – si tu fais des choses comme le SM, l’escort, des passes ou ce genre de truc, il faut être organisé et savoir ce que l’on veut…» Trevor, un grand trentenaire cool, tatoué de la tête aux pieds, exerce à Genève dans le domaine de la domination et du SM. «Carté» à la brigade des mœurs et légalement reconnu comme indépendant, il reçoit ses clients dans son donjon et entretient un site web à accès payant: une petite entreprise qui a requis de l’investissement, notamment en matériel. Jouissant aujourd’hui d’une vie qu’il qualifie volontiers de tranquille et d’une certaine confiance en l’avenir, Trevor préserve son «jardin secret» - vie privée et professionnelle tout à fait séparés. La discrétion fait partie du deal, de son choix de vie. Militer, apparaître au grand jour comme travailleur du sexe? «En Suisse on n’a pas de problèmes! Si tu vas crier sur les toits, dire à tout le monde: ‘Je reçois des clients chez moi, trop cool!’… au bout d’un moment tu n’as plus d’amis et c’est normal… parce que le monde est comme ça et il faut l’accepter… Devoir m'expliquer à tout bout de champ me prendrait trop de temps et de prises de tête inutiles.»
Responsable du projet Male Sex Work destiné aux hommes travailleurs du sexe au sein de l’association genevoise Aspasie, Stéphane With constate que chez les personnes qui exercent ce métier, l’engagement politique est rare. «Nous cherchons à faciliter l’action collective, mais on ne peut pas le faire à la place des gens. Alors, on essaie de soutenir la démarche des travailleurs quelle qu’elle soit, faire en sorte qu’ils aient un discours sur eux-mêmes. C’est le principe de l’empowerment.» En attendant, il constate bien peu de solidarité entre travailleurs, sinon entre personnes de même origine ou filière d’immigration.

Concurrence
Du moins du côté des femmes et des trans, la réalité du travail, du «marché» d’aujourd’hui, est difficile: afflux de migrantes, mobilité des travailleuses, concurrence exacerbée et prix à la baisse… «Il y a un plus grand nombre de travailleuses, moins de clients et des clients moins argentés», explique Claudette, icône du quartier des Pâquis, sexagénaire sportive au charme androgyne. Pour elle, cette situation ne favorise pas l’organisation collective: «C’est impensable de créer un syndicat aujourd’hui. On aurait pu le faire il y a quelques années mais aujourd’hui, on est trop mouvantes. Il n’y a pas, comme autrefois, de gens qui se connaissent, qui vont manger ensemble, qui ont les mêmes clients…»
Karl, 36 ans, sex-worker engagé, ne se résigne pas. «Les travailleuses et travailleurs du sexe sont une population extrêmement hétérogène. Le travail c’est la seule chose que nous ayons en partage. C’est dommage que l’on soit trop peu nombreux pour créer un syndicat, mais je pense que le problème principal à cet égard, ce n’est pas la concurrence entre travailleurs, mais bien que la plupart des gens n’osent pas, qu’ils ont trop peur de la stigmatisation». Et Karl d’évoquer le «cartage» des travailleuses et travailleurs du sexe auprès de la Police, réclamée il y a 15 ans par les travailleuses installées de longue date elles-mêmes pour «se protéger» de l’afflux des étrangères. «Laisser aux flics le soin de régler la concurrence est un très mauvais choix, estime Karl. Il faut que les travailleuses et travailleurs se solidarisent.»

Un choix dans le choix
Travailleur du sexe depuis… 22 ans, la conscience et l’engagement de Karl n’ont pas émergé en un jour. Passant de la survie («A 14 ans, tu ne développes pas une identité politique ou professionnelle!») à la «demi-honte», il a ensuite travaillé à résoudre les «contradictions» entre idéaux et réalité quotidienne, entre activisme – en l’occurrence dans les milieux squatt – et passes rémunératrices. C’est en rencontrant des assistants sociaux lui offrant un regard extérieur et positif sur son métier, mais aussi ses pairs, qu’il se forge une identité de travailleur du sexe et commence à affûter ses arguments politiques. «Au début, je pensais que dans une société idéale où l’amour primait, cette idée de sexe tarifé n’avait pas sa place. Ensuite j’ai réalisé que tant que le désir et le sexe subsisteraient, il y aurait toujours des travailleurs du sexe! Je me suis aussi rendu compte que la profession recouvrait un champ large, dans lequel on peut se spécialiser. Et je peux dire que je suis devenu un spécialiste dans mon secteur.»
Cette identité professionnelle ne s’est pas imposée de la même manière à Claudette: «Ce n’est pas vraiment un choix, ce sont des circonstances qui font qu’à un moment, vous êtes amenée à faire un choix dans le choix. Un divorce, un décès, des circonstances graves font que vous êtes en manque d’argent. A ce moment-là, dans des conditions très difficiles financièrement, vous faites le choix de sortir d’une marginalité, mais pour entrer dans une autre.» Peut-on s’approprier ce choix, comme l’avait fait Grisélidis Réal, dont Claudette est souvent considérée comme la continuatrice? «C’est très difficile d’être une Grisélidis, de dire ‘Je suis une travailleuse du sexe’», admet-elle. Si elle témoigne aujourd’hui dans les médias et siège au comité d’Aspasie depuis 5 ans, la démarche militante n’avait d’emblée rien d’évident pour elle: «Je ne voyais pas l’utilité. Les affaires étaient bonnes. On se connaissait toutes. Je ne voyais pas l’esprit de combat.» Comme pour Karl, ce sont des rencontres, en l’occurrence avec des permanentes d’Aspasie, qui suscitent en elle l’envie de faire changer les regards sur la prostitution, de la «démocratiser». Prenant l’exemple de clients handicapés auxquels elle s’est trouvée confrontée, elle explique: «Tout simplement, nous sommes aussi des travailleuses sociales. Et il y a bien des filles qui aiment leur métier précisément pour cela. Parce que c’est un travail et un combat utiles.»

Apprentissage
Née en Afrique du Nord, Claudette a fait son apprentissage au bordel, à 14 ans. Une expérience dure, mais aussi une véritable formation dont elle parle sans ambages. «On apprenait à laver le client, à le faire jouir, à repérer s’il avait des boutons, des signes de maladie vénérienne. On apprenait aussi une sorte d’éthique de travail qui n’existe plus aujourd’hui.» Pour Karl comme pour Claudette, la question de la formation des travailleuses et travailleurs du sexe rste fondamentale pour la reconnaissance du métier, même si Claudette reconnaît qu’aujourd’hui, «il est difficile d’imaginer une jeune femme en apprentissage de prostituée.» «Certains pensent que c’est impossible parce que ça toucherait à l’intégrité corporelle de la personne, remarque Karl. Moi, je crois qu’il faut d’abord que l’on voie plus loin que l’acte sexuel, notamment la communication avec le client, l’écoute, le câlin, la reconnaissance, bref tout le niveau psychosocial.»
Etablir une passerelle avec le social et la santé, c’est l’une des multiples pistes permettant de faire changer les regards sur la prostitution et enfin reconnaître au travail du sexe la place qu’il occupe dans la société. Une démarche politique qui ne fait que commencer, et demande de dénouer les préjugés liant trop automatiquement ce métier à la violence et à la dépendance. «Moi, le sexe m’a beaucoup apporté, conclue Claudette, du point de vue de l’argent, mais aussi de la connaissance. C’est peut-être pour ça que je n’aime pas le mot pute. Qui est pute, finalement, la fille qui se fait payer? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres formes de putasserie dans notre monde…?»

Pas faites pour ça ?
Fières, et jalouses de leur art. Dans une interview de Claudette parue dans Le Courier, on pouvait lire «99% des prostituées ne sont pas faites pour le métier». Une phrase qui avait piqué aux vif certaines collègues pour lesquelles la reconnaissance entre pairs reste importante. Regrettant que ses propos aient été mal cités, Claudette rétablit sa pensée: «Ce que je voulais dire, c’est que si vous donnez à une femme le choix entre la prostitution et un travail traditionnel et admis par la société, 99% ou peut-être 80% de femmes choisiraient un autre métier. Ce n’est pas une question de capacité ou de compétence, mais je crois que seules certaines femmes diront qu’elles exercent ce métier par passion ou vocation.»

«On se réapproprie l’injure!»
«On est toujours trop connes. Alors il fallait se faire remarquer. Pour combattre contre le stigmate qu’on nous impose, celui de pute, on se réapproprie l’injure.» «Fière d’être pute», c’est donc le slogan et défi que lance Maîtresse Nikita, égérie du collectif parisien Les Putes – un nom aussi provocateur que fonctionnel. Dans le contexte français marqué par l’instauration de la soi-disant «Loi sur la sécurité intérieure» ou Loi Sarkozy menaçant les prostituées opérant sur la voie publique de lourdes amendes, voire de la prison, Les Putes ont choisi le tapage: manifs, zaps ou racolage devant l’Hôtel Matignon, résidence du Premier Ministre français.
Nikita: «On porte sans doute une parole d’une manière un peu plus… persuasive. Mais notre discours est celui de toutes les travailleuses du sexe. Même si l’on peut aussi comprendre qu’une personne qui pendant 30 ans a été victime de ce stigmate ait du mal à s’y reconnaître et à dire ‘Je suis fière d’être pute’… Mais si nous ne le faisons pas alors que nous en avons les moyens, la possibilité et la volonté, qui va le faire?»

S’appuyer sur les plus anciennes
«Si quelqu’un a envie d’exercer un métier, je ne vois pas pourquoi on l’en empêcherait. Mais pour cela, ce serait bien que l’on puisse s’appuyer sur les plus anciennes pour savoir ce qu’il faut faire ou ne pas faire, etc. On rencontre souvent des jeunes qui débutent. Par exemple, on peut leur expliquer qu’il faut qu’elles demandent l’argent d’abord. Il y a des règles. Et il ne faut pas oublier que c’est nous qui dirigeons tout ce qui se passe, c’est nous qui choisissons et faisons ce que nous voulons, sans se laisser imposer des choses par les clients. C’est pour cela qu’on pense créer une école européenne de prostitution. Justement, pour permettre à celles qui veulent exercer ce métier de le faire dans de bonnes conditions.»

«Fières d’être putes», de Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser. Ed. L’Altiplano. En librairie dès le 5 mars. www.lesputes.org

En savoir plus:
«Le sexe et l’argent des trottoirs» de Catherine Deschamps. Ed. Hachette Littérature, 2006. Résolument anti-abolitionniste, une enquête ethnographique très complète, excellente introduction à la réalité actuelle des travailleuses et travailleurs du sexe opérant dans la rue en France.
• Les principaux ouvrages de Grisélidis Réal ont été réédités par les éditions Verticales. Parmi eux, son récit autobiographique Le noir est une couleur et le précieux Carnet de bal d’une courtisane.
• Le site de l’association Aspasie, Genève propose quantité de documents et liens sur les mouvements de travailleuses et travailleurs du sexe en Suisse, et notamment les documents du réseau Pro.Co.Re de réflexion sur la prostitution. www.aspasie.ch
Comité international pour les droits des travailleurs du sexe, lobbying politique au niveau européeen www.sexworkeurope.org
• Le site de Trevor (pour un public averti) www.trevor-escort.ch
Ecrit par post-Ô-porno, le Vendredi 16 Février 2007, 01:53 dans la rubrique "Prostitution".
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