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*Sex-shop story

--> Baptiste Coulmont

Sex-shop story





-> Une info lue sur: www.technikart.com



Dans "Sex-shops, une histoire française", le jeune normalien Baptiste Coulmont retrace l'histoire de ces épiceries du cul avec un sérieux sociologique qui lui évite les travers de la gaudriole. On apprend que si ces enseignes aux devantures clignotantes n'ont pas vraiment connu de révolution depuis les années 70, la législation qui les encadre se fait régulièrement plus contraignante. Le godemiché en latex aurait-il encore quelque chose de subversif ?


Technikart : Baptiste Coulmont, vous êtes sociologue et vous venez de publier « Sex-Shops, une histoire française » : c’est assez atypique comme objet d’étude pour un normalien, non ?

Baptiste Coulmont : Je suis un sociologue assez jeune, j'ai trente-deux ans. Avant de travailler sur les sex-shops, j'ai réalisé une thèse sur les mariages du même sexe aux Etats-Unis. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la sexualité. Quand je suis arrivé en France, je voulais réaliser une étude faisable par une seule personne sur un terrain sociologiquement vierge mais qui pouvait avoir un intérêt, une dimension, qui dépassait le cadre sociologique strict. J'ai choisi aux sex-shops car c'est une institution qui n'avait jamais été abordée du point de vu sociologique. Certains journalistes avaient produit de bons travaux dans les années 80, des juristes s'y étaient également intéressés mais ça se limitait à ça. Et puis il fallait que je puisse travailler à partir de sources légitimes et, concernant les sex-shops, j'ai eu à ma disposition des informations provenant des archives nationales, de celles de la police ou encore de la Bibliothèque de France.

Technikart : Qu’est-ce qui vous a dès le début interpellé concernant ces magasins ?

Baptiste Coulmont : Le fait que, dès qu'on prononce le mot “sex-shop”, les gens ont une représentation mentale très précise, on pense de suite aux vitres teintées, aux néons. Mais peu de gens se souviennent comment s'est structuré ce petit commerce dans le paysage français, quelle a été son histoire et comment il a évolué au fil des années. Pourtant, le développement des sex-shops parle de l'histoire de notre législation concernant le sexe et la pornographie donc plus généralement de notre rapport aux moeurs.

Technikart : Quand les sex-shops sont-ils apparus dans le paysage urbain ?

Baptiste Coulmont : Des librairies libertines existaient bien avant l‘apparition des sex-shops-dès les années 30- mais le mot "sex-shop" n'a lui été utilisé qu'à partir de l'automne 1970. Il fallait se démarquer des librairies et le terme « libertin » était d'une certaine façon assez conservateur mais il ne fallait pas non plus utiliser le mot « porno-shop » qui pouvait encore heurter aux vues du cadre moral de l'époque.

Technikart : Quand se sont-ils développés de façon exponentielle ?

Baptiste Coulmont : On a observé une explosion du nombre de sex-shop après 1968. En 1971, on en compte à peu près 35 mais l'offre n'est pas encore réellement différente de ce que l'on peut trouver dans les librairies libertines. Au début, dans l'imaginaire collectif, ces lieux sont les antennes commerciales de la libéralisation sexuelle et déjà certaines personnes, comme le chroniqueur de la Croix Joseph Folliet, parle de « capitalisme du stupre ». Pourtant, ces sex-shops ne ressemblent pas encore à ceux que l’on connaît : à cette époque, le public est assez jeune, plutôt mixte, on n’y vend pas que de la pornographie. Et les vendeurs sont souvent des vendeuses.

Technikart : Comment sont-ils devenus ces lieux que l’on se représente aujourd’hui ?

Baptiste Coulmont : Ce qui est important de comprendre, c’est que leur histoire s'est modelée en fonction des textes législatifs qui sont venu encadrer leur existence. Ils n'ont jamais eu une vraie autonomie de décision. Il y a ainsi des personnes qui étaient à l’origine libraire et qui ont fini à la tête d'un sex-shop sans se rendre compte qu'ils passaient d'une étape à l'autre. On peut cependant noter un premier marquage en 1971 avec l’apparition des cabines de visionnages, puis en 1973 avec l’obligation par arrêté préfectoral d'opacifier les vitrines des sex-shops. Ces vitres deviennent un signe de stigmatisation. Ils sont dans l'obligation de se faire remarquer d'une autre manière, grâce à des néons, des enseignes lumineuses, etc. Ce qui est caractéristique du développement des sex-shops en France, ce sont les règlements très spécifiques dont ils ont fait l'objet. Les librairies libertines, par exemple, n'étaient pas interdites aux mineurs. On y vendait des produits interdits à cette catégorie de la population mais l'entrée leur était autorisée.

v Technikart : A partir de quel moment les sex-shops modifient-ils leur offre et deviennent ces magasins exclusivement consacrés à la pornographie ?

Baptiste Coulmont : A partir de 1971 avec l'apparition des cabines, les sex-shops voient leur clientèle, mais aussi leur personnel, se masculiniser. Le lieu change, le personnel change, dès lors qu'il faut gérer la masturbation et les contacts sexuels entre les clients. En 1975, après la loi de taxation sur les oeuvres pornographiques, ce sont les sex-shops qui récupèrent la clientèles des cinémas pornographiques. On en compte en 1974 approximativement 3000 et il n'en reste en 1976 que 300. Les films étaient, au début, diffusés en super 8 puis la cassette vidéo est arrivée et à massifiée ce mouvement. Les sex-shops sont ainsi assez rapidement devenus, en diffusant des films qui n'avaient pas de visa d'exploitation, des lieux de masturbation mais aussi des lieux à dimension communautaire par la diffusion de petites annonces en vue de rencontres sexuelles. C'est aussi à ce moment que ces endroits passent sous la coupe de la mafia et du petit banditisme, des gens qui ne s'intéressent pas forcément à la réputation de leurs commerces.

Technikart : C’est à partir de ce moment qu’ils sont devenus des lieux gênants pour les quidams ?

Baptiste Coulmont : Ce qui gênait à Paris, c'est que les sex-shops avaient pignon sur rue dans des endroits très touristiques, Saint-Denis, La Madeleine etc. Dans les années 70 il y avait même un sex-shop dans le Drug Store des Champs-Élysées. Il y en a eu rapidement un nombre important vers les Halles car, à l'époque, le quartier était en travaux et les magasins qui s'y installaient étaient à la limite de la légalité. Les autorisations n'avaient pas de durée d'expiration précise et certain commerçants ne voulaient pas s'installer de peur d'être priés de dégager quelques mois après. Pour Pigalle, leur installation ne s'est pas passée de la même façon, ils se sont incrustés dans le paysage de façon beaucoup plus simple. On vendait déjà à Pigalle de la lingerie coquine comme des culottes fendues ou des slips en cuir. C'était aussi un lieu où il y avait depuis longtemps de la prostitution, des cabarets, des bars… Aujourd’hui, à Saint-Denis, plusieurs sex-shop ont fermé mais sur une échelle plus large, on observe une redistribution des déplacements. De nombreux magasins ouvrent ainsi leurs portes en banlieues ou en province. Si on essaye de décentraliser les sex-shop, c'est évidement pour répondre à une demande morale et urbanistique de la part de certaines populations.

Technikart : A-t-on observé une évolution des publics des sex-shops ?

Baptiste Coulmont : Il n'y a jamais vraiment eu d'enquêtes scientifiques là dessus. Pour cet ouvrage, c'est Irene Roca Ortiz qui s'est occupée de l'analyse des publics via des entretiens avec des vendeurs. Nous nous sommes principalement intéressés dans la centaine de sex-shops qui existent à Paris à ceux se situant dans le milieu de gamme. Mais nous n'avons pas pu construire un échantillon sur une base scientifique car tous les vendeurs n'acceptent pas de parler. Soit ils s'expriment mal en français, ce sont des immigrés qui peuvent parfois être des clandestins ; soit ils se méfient car ils ne savent pas ce que l'on va faire de leurs propos. Ils peuvent craindre, par exemple, des remontrances de la part de la mairie ou de la police, ils préfèrent jouer la discrétion pour éviter les ennuis.

Technikart : Vous notez dans votre ouvrage que la scénographie des sex-shops répond à une sorte de standard d’organisation qui n’est pas dit mais qui ne varie que très peu d'un magasin à l'autre.

Baptiste Coulmont : Oui. C'est ce qui est souvent amusant avec la sociologie c'est que l'on se rend compte que les choses s'ordonnent sans qu'il y ait de grands ordonnateurs. Plus on s'enfonce dans le sex-shops, plus les produits que l'on nous propose sont extrêmes. Ce constat, le "Guide du Paris sexy" ou celui de la "France Coquine" l'ont aussi fait de leur côté. Par exemple, les vibromasseurs ne seront pas forcément visibles à l'entrée. Mais il faut savoir que la police joue aussi un petit rôle dans cette organisation. Il leur arrive de faire des visites de courtoisie en faisant la réflexion au vendeur, s'ils jugent leur vitrine ou leur entrée trop impudique : “Tiens, ça je le verrais bien ailleurs”. Eux préfèrent se plier à ces rappels à l'ordre plutôt que de protester. Mais c'est aussi un classement qui tient du sens commun. Chez soi, si l'on a ce type d'objet, on va plus facilement le ranger dans son armoire que le mettre en évidence sur la table du salon. C'est une reproduction accentuée de la morale collective. A côté de ça, il y a également des classements proprement professionnels, notamment celui des cassettes et des dvds. On observe aujourd'hui une trentaine de catégories sexuelles différentes qui font l'objet d'un classement qui fait, à peu de choses près, consensus dans ces établissements.

Technikart : On a souvent l’impression que les sex-shops sont restés branchés sur l’imagerie des années 80, comme si ils n’avaient jamais rien changé à leur devanture.

Baptiste Coulmont : La raison principale est que ces commerces sont souvent de taille modeste mais surtout qu'ils sont sur un marché où il y très peu de compétition. Ils ont longtemps évolué dans une sorte d'inertie commerciale et n’ont donc pas eu besoin de se moderniser.

Technikart : Peut-on dresser un portrait type des gens qui y travaillent ?

Baptiste Coulmont : Non. C'est parfois le fils ou la fille du patron. Je me souviens d'un exemple où la personne en poste était le fils du vendeur de néons du sex-shop. Dans les sex-shops gays, la population des vendeurs est souvent insérée dans les milieux homosexuels. Après, il y a des gens dont ça peut être la vocation. Des personnes qui ont une sexualité à la marge ou ayant auparavant exercé pour le téléphone rose, le télémarketing sexuel, des clubs échangistes. Plus curieusement, nous avons pu entrer en contact via des élèves suivant mon cours de sociologie de la sexualité avec énormément de malgaches. C'est assez étrange car c'est une immigration souvent étudiante dont on parle peu mais qui a une certaine visibilité dans le milieu des sex-shops.

Technikart : Depuis l’apparition d’Internet et la facilité d’accès vers les contenus pornographiques que permet cet outil, les sex-shops ont-ils vu leur fréquentation baisser drastiquement ?

Baptiste Coulmont : Je ne crois pas. Internet est une concurrence sans pour autant en être une. Les personnes qui fréquentent les cabines sont des gens qui ne peuvent généralement pas consommer de pornographie chez eux pour différentes raisons : les enfants, une compagne qui n'accepte pas cette pratique. Regarder du X chez soi exige une gestion de l'espace privé qui peut être assez compliquée. Et puis les vidéos que l'on trouve dans les sex-shop ne sont pas les mêmes que celles que l'ont peut louer dans les vidéos club. Les cabines sont aussi des lieux où les hommes peuvent avoir des contacts sexuels entre eux tels que des masturbations mutuelles ou des fellations sans forcément se vivre comme des relations homosexuelles.

Technikart : On observe depuis quelques années une démocratisation des sex-toys, c’est quelque chose qui leur a porté préjudice ?

Baptiste Coulmont : La non plus il n'y a pas de véritable canibalisation du marché. Les godemichés que l'on peut acheter dans les magasins de lingeries sont des gadgets fabriqués par quelques compagnies qui forment un marché quasiment oligopolistique. Leur prix de vente est souvent élevé et leur marge assez faible. Les sex-shop se fournissent chez des grossistes qui produisent ces objets en quantités industrielles. Ils les achètent environ 1 euro les 10 et les revendent 10 euros l'unité.

Technikart : Comment peut-on analyser le fait que le modèle des sex-shops américains proposant des produits pornographiques moins hétéro-normatifs n’arrive pas à s’implanter en France ?

Baptiste Coulmont : Aux Etats-Unis, contrairement à la France, le féminisme s'est en partie institutionnalisé par un accompagnement idéologique du capitalisme libéral, de la pornographie et de l'orgasme en particulier. Le féminisme français s'est lui construit via la politique avec un certain rejet pour tous ce qui avait trait à la pornographie.

Technikart : Quels sont les derniers textes de lois venus encadrer les sex-shops ?

Baptiste Coulmont : Ils datent de mars dernier. Les sex-toys ont été pour la première fois évoqués au Sénat, cela pour déterminer quels étaient les magasins proposant des marchandises pornographiques et qui devaient donc être soumis à une réglementation de protection des mineurs. Étrangement, ils ont considéré que c'était le godemiché la chose la plus dangereuse. Dorénavant, si l'on s'en tient au texte, il est interdit de vendre ce type d'objet à moins de deux cent mètres d'un établissement scolaire. Ce sont des textes qui ont été adoptés du fait de demandes de la part d'associations de parents d'élèves ou de défense de l'enfance, mais ce qui est assez étonnant c'est qu'aucun partie politique n'a trouvé à redire à ce texte, ni même les Verts ou l'extrême gauche. Il y a en France un véritable consensus autour de la lutte contre la pornographie. Entretien Vincent Cocquebert





-> Lire aussi sur post-Ô-porno: *Sex-shops, une histoire française

-> Aller sur le blog de Baptiste Coulmont: http://coulmont.com

Ecrit par post-Ô-porno, le Jeudi 7 Juin 2007, 02:32 dans la rubrique "Post-porn".
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