Quand on demande à un militant italien quelles déclarations de Benoît XVI l’ont le plus choqué ces derniers mois, il ne sait par où commencer. Il est vrai qu’une phrase comme «C’est Dieu qui décide si l’on est un homme ou si l’on est une femme; ce qu’ils appellent le ‘genre’ ne leur sert qu’à s’affranchir de l’œuvre du créateur», prononcée le 22 décembre, ne vient que renforcer les propos homophobes populistes serinés par la droite et l’extrême droite. Il y a 15 ans, les groupuscules d’extrême droite italiens semblaient folkloriques. Ils ne font plus rire depuis l’entrée au gouvernement Berlusconi de la Lega, parti nordiste extrémiste ouvertement homophobe. Ces liens entre l’extrême droite, de nombreuses associations catholiques et le gouvernement ont suscité la création de groupes anticléricaux tels que Facciamo Breccia, composé de féministes et de laïcs, principalement LGBT. Graziella Bertozzo, qui y travaille, a été particulièrement choquée par le meurtre d’un lycéen à Vérone, en mai, roué de coups parce qu’il avait les cheveux longs. «Ses quatre agresseurs faisaient partie de Forza nuova, un parti d’extrême droite, commente-t-elle. La plupart de ces groupes travaillent en réseau avec des associations catholiques comme Famiglia e civiltà à Vérone et Famiglia domani à Rome, qui s’occupent uniquement de combattre les LGBT.» Facciamo Breccia organisera le 14 février à Rome la quatrième édition de No Vat, une manifestation qui rassemble environ 10 000 personnes chaque année. «Cette date fait référence à la signature du concordat entre l’Etat italien et le Vatican, le 11 février 1929, dont nous demandons l’abolition», explique-t-elle.
Peur du changement
Interrogée sur les questions LGBT dont elle a la charge, la ministre pour l’égalité des chances dans le cabinet Berlusconi, Mara Carfagna, répond invariablement: «Je suis pour la famille, je suis catholique.» Cette ex-show-girl court vêtue n’a jamais rencontré les associations LGBT, mais les juge «constitutionnellement stériles». Le mépris de l’Etat accompagné de continuelles déclarations homophobes ont des effets dramatiques dans la vie quotidienne, explique Aurelio Mancuso, président national d’Arcigay, la plus grande association LGBT du pays. «En 2008, neuf personnes LGBT ont été tuées, dont cinq trans. Depuis 2006, 48 personnes LGBT ont été tuées en Italie. Les lesbiennes, pourtant très invisibilisées, portent de plus en plus plainte.» Le gouvernement persiste. En signant la proposition de dépénalisation de l’homosexualité à l’ONU en décembre, le ministre italien des affaires étrangères a pris la peine de préciser que le gouvernement restait opposé au mariage. Le Vatican, lui, a voté contre. «Il y a bien eu récemment de la part du gouvernement une proposition d’union libre, une sorte de pacte signé chez le notaire, indique Fabrizio Marrazzo, président d’Arcigay Rome. Mais des politiques de centre droit ont déjà déclaré qu’ils voteraient contre, sans même l’avoir lue. Je pense qu’on n’en reparlera pas.» L’Italie est l’un des rares pays d’Europe où l’homophobie d’Etat est aussi virulente. «Les politiques ont peur du Vatican et peur du changement, commente Aurelio Mancuso, parce qu’ils sont vieux et qu’ils veulent rester au pouvoir. »
Eglise en crise
«De son côté, l’Eglise catholique est en crise», poursuit Mancuso, «elle a peur également. En 2008, les interventions publiques de Ratzinger ont attiré un million de fidèles en moins et les églises se vident.» Le matraquage homophobe et liberticide ne fait donc que s’accroître. Il s’exprime d’autant plus facilement que les médias sont pratiquement tous détenus par le chef du gouvernement. En décembre, Brokeback Mountainest ainsi passé sur Rai 2 dans une version censurée: exit l’étreinte et le baiser passionné! «Sans les médias, nous ne sommes rien, rappelle Graziella Bertozzo. Quand nous avons occupé la place Saint-Pierre, en juin, à l’occasion de la Pride, l’info n’est restée que 30 minutes sur le site de la Repubblica.»
Aujourd’hui, le président national d’Arcigay croit à la création d’une force politique autonome LGBT qui pourrait influencer les élections. Quant à Graziella Bertozzo, pour elle, l’unique solution est de diffuser les informations à l’étranger afin de faire jouer la solidarité internationale, ce qui a déjà permis l’annulation de la visite du Pape à la grande université romaine de la Sapienza. L’opposition au Saint Père est donc possible, nom de dieu!
Quand la variétoche vante le «traitement» de l’homosexualité…
Il s’appelle Povia, il a une petite gueule faussement innocente, des cheveux mi-longs et une voix qu’il fait péniblement monter dans les aigus. Il chante des chansons consensuelles qu’un enfant de quatre ans trouverait gnangnan: bref, il n’a aucun intérêt. Sauf que depuis que ce benêt a annoncé qu’il chanterait au prochain festival de Sanremo une chanson intitulée Luca era gay, c’est le branle-bas de combat chez les militants LGBT italiens. Luca, c’est Luca Di Tolve, un garçon qui a déclaré avoir été guéri de son homosexualité (s’il a jamais été gay) grâce à un psychologue américain, Joseph Nicolosi, connu pour ses théories douteuses sur la «réparation» de l’homosexualité. Pour le chanteur, qui a lui-même aidé deux de ses amis à «guérir» et se marier, ce serait donc une maladie. «Si la chanson n’est pas retirée, prévient Fabrizio Marrazzo, on bloquera l’accès au festival.» Et l’affaire est à prendre au sérieux, tandis qu’en Italie, les réunions du type «Homosexuels anonymes» organisées par l’Eglise se multiplient. E.Ca.
Luxuria triomphe, mais la «chasse aux trans» continue…
C’est fait! Vladimir Luxuria, la plus célèbre transexuelle italienne, militante et ex-députée communiste, a remporté fin novembre L’Isola dei famosi, version italienne de La Ferme des célébrités. Il faut dire que la Luxuria, qui est une sacrée finaude, a bien manœuvré: elle n’a pas hésité, pour plaire au public, à réprouver les relations extraconjugales tout en faisant passer des phrases humanistes du type: «Quand on vit ensemble, on devrait rechercher ce qui nous unit plutôt que ce qui nous oppose.». Cette victoire serait-elle une lueur d’espoir? «51 000 personnes ont voté pour Vladimir. Mais en Italie, il y a 60 millions d’habitants», tempère Fabrizio Marrazzo. «L’Italie est un pays où les trans subissent des discriminations, où ils ne trouvent pas de travail et vivent dans la rue parce qu’ils ont été chassés de chez eux.» Les militants se souviennent d’une «chasse aux prostituées trans» organisée en mai dernier par la police de Rome. Les prostituées avaient été brutalement arrêtées sous les acclamations des habitants du quartier qui photographiaient la scène avec un plaisir évident sur leur téléphone portable.
Edna Castello
Pour en savoir plus: