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"Parce que le sexe est politique"

  

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*Être un pute

--> Thierry Schaffauser
Être un pute



-> Un article lu sur: minorité.org


par Thierry Schaffauser    - Dimanche 17 octobre 2010
Pute, pédé , drogué, immigré, ancien d'Act Up, il vit à Londres om il est devenu président de la branche sex work du troisième syndicat du Royaume-Uni, le GMB. Co-fondateur de la Pute Pride et du Syndicat du Travail Sexuel, directeur pour l’Europe du Global Network of Sex Work Projects. Il a coécrit le livre manifeste Fières d’être Putes
(Couverture ci-dessus).  


Dans les grands débats qui animent nos sociétés, la question du travail sexuel suscite toujours les passions. Les mouvements féministes se divisent depuis longtemps sur la question, et la majorité d’entre eux en France continuent d’exclure les travailleurs du sexe. En politique, il y a les grands sujets sérieux accaparés par les hommes, et puis il y a les sujets au contraire vus comme féminins, considérés moins importants car classés dans le domaine de compétence des femmes politiques. Parmi eux il y a la gestion des crèches, la famille et l’environnement, et bien sûr la prostitution, que personne n’ose nommer travail du sexe.

Chaque parti et syndicat délègue systématiquement le problème à sa commission femmes, et les hommes doivent être d’accord au risque d’être perçus comme antiféministes, ce qui peut être embêtant quand on veut faire carrière. Toutes ces commissions sont vaillamment contrôlées par des militantes répétant depuis des années que la prostitution est une violence faite aux femmes, même si la plupart n’ont jamais rencontré de travailleurs du sexe de leur vie.
Dans ces débats théoriques, la parole des premiers concernés n’est pas nécessaire car les représentations suffisent. Et la première représentation du travailleur du sexe, c’est d’être une travailleuse, ou plutôt une femme, et une femme victime. C’est ce qui donne aux féministes la légitimité de parler d’un sujet qu’elles ne connaissent pas, puisqu’elles parlent toujours au nom de toutes les femmes, et surtout des femmes victimes qui, soit disant, ne peuvent s’exprimer par elles-mêmes. Merci l’universalisme républicain.
 
Mais quand le travail du sexe est pratiqué par des hommes ou même des trans’, ce qui serait le cas pour plus d’un tiers d’entre nous au moins en Région parisienne, cela pose problème. Il y a bien sûr des tentatives pour infantiliser et féminiser, mais cela ne suffit pas toujours. Alors quand on a affaire à des hommes et en plus militants qui ne correspondent pas tout à fait au stéréotype de la victime, il faut dire qu’ils ne sont pas représentatifs. Cela ne veut pas dire que la voix des femmes soit nécessairement plus acceptée, mais il faudra trouver d’autres prétextes quand il suffit simplement de reprocher aux hommes leur sexe. Les travailleuses du sexe trans’ sont-elles toujours classées du côté des hommes car elles auraient acquis les mécanismes des dominants de par leur éducation ? Ouf, c’est à cause de leur éducation, ça aurait failli pu être de l’essentialisme transphobe…
 
 
Où sont les hommes ?
 
Dans ce schéma de pensée, les hommes travailleurs du sexe demeurent donc invisibles. Nous sommes un peu les lesbiennes de notre communauté. Quand bien même dans la langue française, la présence d’un homme suffit pour que le masculin l’emporte toujours au pluriel, quand on parle des prostituées, c’est toujours au féminin. Quand j’étais à Paris au sein du groupe Les Putes, nous étions au deux tiers des pédés et des trans’, mais nous utilisions le E majuscule au pluriel par refus de la grammaire sexiste, et par refus de l’assimilation au genre homme. Cela nous a valu les reproches de certaines féministes nous accusant de nous faire passer pour des femmes pour parler à leur place, puisqu’évidemment seules les femmes ont le droit de parler de travail du sexe. Une amie féministe lesbienne qui elle n’a pas de problèmes avec les putes, me suggéra un soir au contraire de masculiniser les termes, de dire un pute, un putain, pour déconstruire l’assignation symbolique de ce travail aux femmes. Je trouve que c’est une très bonne idée, et que cela permettrait aussi aux hommes travailleurs du sexe de se faire davantage entendre.
 
Historiquement, les hommes ont été exclus du mouvement des travailleurs du sexe. Dans les années 1970, même des trans’ auraient parfois été jetées des salles de réunion et il a fallu des années pour qu’elles soient acceptées, souvent en s’imposant comme elles l’ont fait au bois de Boulogne. J’ai pu entendre parfois des remarques comme le fait que les trans’ qui défilent à la Pute Pride les seins à l’air ou les garçons en travestis donneraient une mauvaise image, de vulgarité, un peu comme quand les pédés planqués critiquent la Gay Pride. Plusieurs organisations refusent explicitement les hommes parmi leurs membres, mais je dois dire que les cinq dernières années, les hommes travailleurs du sexe ont fini par s’imposer dans le paysage activiste pute, et que nous sommes à présent soutenus par la plupart des femmes qui sont bien contentes de voir arriver de nouvelles recrues dans le combat.
 
 
LGBT ≠ Putes
 
Quand on se tourne du côté de la communauté LGBT, les travailleurs du sexe hommes deviennent un peu plus visibles, mais nous ne sommes pas épargnés de discriminations. Au mois de mars dernier, la présidente du centre LGBT de Paris a pensé nécessaire d’écrire deux longs textes attaquant les travailleurs du sexe militants notamment en visant les hommes membres du STRASS, ainsi que les féministes pro-sexes qui soutiennent le syndicat. Il y a trois ans, le SNEG envisageait de sortir une affiche à destination des sex-clubs afin de dénoncer la présence des travailleurs du sexe et appelant à leur délation auprès des autres clients de ces établissements. Il est heureux que certains d’entre nous étions en contact avec le responsable prévention du SNEG du fait de notre activisme passé à Act Up, et que celui-ci a eu l’intelligence de faire retirer ce projet. Si certains établissements gays tolèrent les travailleurs du sexe qui attirent plus de clientèle, d’autres comme le Dépôt veulent absolument les exclure et celui-ci les livre au commissariat de police de la rue aux Ours. On m’objectera que tolérer notre présence les rend de fait proxénètes aux yeux de la loi, mais c’est bien pour se défendre contre les mauvaises lois, et défendre le droit de notre communauté à des espaces de baise et de sociabilité que le SNEG s’est créé. On en arrive à une situation où les patrons de l’industrie du sexe ont le droit de faire payer les gays pour baiser, dans un contexte où la drague en plein air gratuite est réprimée en partie aussi dû aux lois anti-racolage, mais les travailleurs du sexe au bas de l’échelle, qui vendent leurs propres services, continuent eux d’être criminalisés.
 
La même chose se passe sur les sites de rencontres Internet où nos profils sont systématiquement censurés lorsque découverts, et où chaque usager du site est encouragé à dénoncer les putes afin que nos comptes soient désactivés. Cela rapporte bien sûr de l’argent aux sites en question puisque les putes sont obligés de repayer pour un nouveau profil, et de trouver de nouveaux mots codes plus discrets et adaptés pour qu’on comprenne ce qu’ils font sans éveiller le soupçon des anti-putes. Heureusement qu’il y a des sites comme Gayromero ou Rentboy mais qui sont sans surprise hébergés à l’étranger.
 
 
Dénoncer les putes, puis se faire de la thune avec
 
Quand il s’agit de faire du pognon en revanche, il n’y a pas de problème pour nous utiliser. La communication au sein de la communauté gay repose énormément sur l’industrie du sexe puisque tous les media gays reçoivent l’argent de leurs annonceurs : compagnies de porno, sex-shops, sex-clubs, saunas, etc. Certains gratuits sont même directement financés par des enseignes de l’industrie du sexe, le meilleur exemple étant Illico et Menstore. Il n’est donc pas étonnant que quand des polémiques surgissent sur le bareback dans le porno, les media gays n’ont pas vraiment intérêt à perdre l’argent de leurs annonceurs.
 
Comme d’habitude, ceux qui se font le plus d’argent ne sont pas ceux qui prennent les risques avec leur santé. Quand on demande un test de dépistage, ce n’est pas pour protéger les travailleurs, mais le producteur, qui pourra s’appuyer légalement sur un bout de papier. En effet, un test négatif ne garantit pas la connaissance du statut sérologique pour les trois mois précédents le test, et quand on est travailleur du sexe, on baise en général plus qu’une fois tous les trois mois. Dans chaque industrie, il y a des règles de sécurité et de santé, mais grâce aux pressions prohibitionnistes, il ne faut surtout pas réguler une industrie qui en sortirait légitimée. En attendant, pas de contrat de travail, en tout cas moi j’en ai jamais eu, seulement des papiers à signer pour donner l’autorisation d’usage de mon image et une copie de mon passeport prouvant que je suis majeur. Pas de royalties, pas de droits sociaux, juste quelques billets. L’État n’intervient que pour récolter les impôts. Ceux qui défendent la prohibition du travail du sexe par anticapitalisme et antilibéralisme devraient donc réaliser que la loi du marché sans règles si ce n’est l’autorégulation de l’industrie elle-même imposée du haut vers le bas est exactement ce qui se passe dans un contexte de prohibition, où l’industrie ne disparaît pas mais est simplement ignorée.
 
 
Quatre associations pro-putes mais pas trop non plus, hein
 
Quelques organisations LGBT soutiennent les droits des travailleurs du sexe, mais pas tant que ça: les sœurs de la perpétuelle indulgence, Etudiants Gayment, les Panthères roses et Act Up. En gros, toutes celles qui sont universalistes ne s’expriment que sur les LGBT et surtout pas sur des sujets polémiques qui pourraient leur coûter leurs subventions de la mairie de Paris, dont Anne Hidalgo est connue pour être anti-prostitution. Malgré son engagement passé dans la prévention auprès des travailleurs du sexe, Aides a refusé de signer l’appel à la Pute Pride, et n’a jamais envoyé de militants marcher avec nous. La plupart des organisations préfèrent nous ignorer, comme l’Inter-LGBT qui n’a jamais reçu le courrier du groupe Les Putes pour participer à leur Printemps des assos par exemple. Même au sein d’Act Up, où nous étions quelques putes, il y a eu des soupçons de proxénétisme contre l’un d’entre nous, avec des coups de fil le soir, et des discussions dans les couloirs du local pour connaitre le fonds de la vérité. Un militant d’Act Up avait alors même appelé la mère d’un jeune pute pour accuser un collègue plus âgé de l’exploiter.
 
Au mois de juillet à la conférence mondiale sur le sida à Vienne, c’était intéressant de constater qu’après plus de dix années d’engagement dans la lutte contre le sida, je participais à la conférence en tant que délégué du réseau mondial des organisations de travailleurs du sexe,  tandis que les organisations classiques LGBT et sida n’ont jamais envoyé à ma connaissance de putes comme délégués. Je me suis alors demandé pourquoi de tous les travailleurs du sexe LGBT qui étaient parmi nous, aucun ne vient d’une asso LGBT, mais tous d’une organisation de travailleurs du sexe. Est-ce que les LGBT peuvent concevoir un travailleur du sexe parmi leurs représentants et leaders ou cela ne fait pas assez sérieux, comme je l’ai parfois entendu à mon propos ?
 
Durant la conférence mondiale sur le sida, tous les activistes que je connais du mouvement sida étaient tous très aimables et exprimaient leur soutien face aux délégations de travailleurs du sexe. Mais pourquoi ne font-ils rien pour les droits des travailleurs du sexe le reste de l’année quand l’ONUSIDA nous reconnait comme une des communautés les plus vulnérables face à l’épidémie ? Depuis la loi sur la sécurité intérieure de 2003, Act Up ne travaille plus sur le travail du sexe. Ce n’est plus un problème dans l‘actualité. Act Up travaille toujours sur les urgences du moment. Je peux comprendre qu’il n’y ait pas assez de militants, certains partent une fois qu’ils finissent enfin par se faire embaucher par Aides, ni de moyens pour tout faire, mais dans ce cas c’est dommage d’avoir perdu ses militants putes qui justement bossent sur ces questions.
 
 
HSH = Pédé ≠ Pute
 
En France, il n’y a plus rien en direction des travailleurs du sexe hommes. Les associations de santé communautaires accueillent les hommes autant que les femmes bien sûr, mais aucune n’est spécialisée dans l’action auprès des hommes comme c’est le cas dans la plupart des autres pays. Autrefois, Aides faisait des tournées place de la porte Dauphine à Paris, c’était d‘ailleurs drôle de les rencontrer là puis ensuite en réunion inter-asso, mais avec Internet il n’y a plus beaucoup de monde qui travaille là-bas et ça n’est plus assez rentable pour Aides d’envoyer un bus et des militants chaque mardi et vendredi soir. Pourtant nous sommes toujours là. Nous nous sommes juste déplacés sur la toile et ce n’est pas compliqué de nous trouver. Mais sur Internet, nous n’occupons plus l’espace public de la rue alors nous sommes absents des discours politiques.
 
Le sida des travailleurs du sexe aussi est invisible. Je ne vais pas dire Silence = Mort parce qu’en 2010 je n’aime pas l’idée de parler de mort, mais j’aimerais quand même au moins savoir quelle est la séroprévalence dans ma communauté. Tout me porte à croire qu’elle est plus importante que chez les femmes travailleuses du sexe qui se sont organisées spécifiquement autour de la prévention dès les années 1980 avec le Bus des Femmes. Mais parce que nous sommes à l’intersection des deux groupes considérés « à risque » nous n’apparaissons nulle part. Au ministère de la santé, on ne parle que des « personnes prostituées » au participe passé et féminin car imposer le terme « travailleur du sexe » est encore un combat… ou alors, on parle « d’hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes » HSH pour ne pas avoir à dire pédés ou homosexuels… Ce nouveau concept de HSH, était censé rendre visible les hommes qui ne s’identifient pas nécessairement gay mais qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. On aurait pu donc penser que les travailleurs du sexe et nos clients dont beaucoup entrent parfaitement dans cette catégorie de non-pédés socialement, mais qui baisent quand même, seraient donc pris davantage en considération dans le travail de prévention et d’accès aux soins. Dans les faits, HSH est juste une catégorie polie et dépolitisée pour ne pas avoir à dire PD, mais qui est comprise comme un synonyme. Entre les HSH et les « personnes prostituées » les hommes putes n’existent pas car le travail du sexe est toujours pensé comme le fait de femmes ou de trans’ et HSH est un synonyme pour gay qui exclut les travailleurs du sexe.
 
Il serait temps que l’on reconnaisse que les travailleurs du sexe existent, qu’ils sont des acteurs légitimes dans les débats sur la question du travail sexuel et sur toutes les questions liées au sida ou aux luttes LGBT, car nous connaissons notre communauté jusque dans son intimité. Les travailleurs du sexe peuvent être des acteurs de prévention en pratique et non juste en théorie, et notre organisation politique pourrait en fait apporter plus à la lutte s’il n’y avait pas soit une gêne pour la réputation de l’organisation, soit la considération méprisante que les travailleurs du sexe n’ont pas la capacité de faire autre chose que de « vendre leur corps ».

Il faudrait que la communauté se rappelle de toutes les fois où un homme politique homophobe s’est fait outer grâce à un travailleur du sexe qui ne supportait plus l’hypocrisie et le pouvoir de nuisance de son client, ou encore du rôle des tapins de rue, trans’ en particulier, qui ont été à l’initiative des révoltes du Campton’s Cafeteria en 1966 ou de Stonewall en 1969. Tout le monde utilise nos services ou se branle sur nos films, ce serait bien d’être à nos côtés quand nous sommes ceux qui ont le moins profité de la libération homosexuelle.
 
Nous faisons partie de la communauté, même si minoritaires dans la minorité.

Thierry Schaffauser
Ecrit par post-Ô-porno, le Vendredi 22 Octobre 2010, 01:27 dans la rubrique "Prostitution".
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