Quand le nationalisme flirte avec les gays
Slogan de la Gaypride annulée
-> Un article lu sur: Sciences Humaines
Une alliance atypique se noue en Europe entre des militants gays
et des nationalistes xénophobes. Leur cible : l’islam.
Une gay pride de quartier devait, le 2 avril 2011, défiler
dans l’Est londonien. Elle fut annulée au dernier moment. Motif :
l’organisation-mère, la London Gay Pride, venait de comprendre que cette
manifestation avait été organisée par un militant anglo-nationaliste et
xénophobe, Raymond Berry, dans le but inavoué de bien montrer aux habitants
musulmans de ces quartiers populaires qu’ils n’étaient pas chez eux. L’incident
est peut-être le symptôme d’un bien curieux phénomène de recomposition des
activismes politique et sexuel qui gagne l’Europe de l’Ouest. Souvenons-nous :
en mai 2002, le député néerlandais Pim Fortuyn est abattu par un militant
alternatif pour ses propos anti-immigrés. En marge de son discours populiste,
P. Fortuyn se présentait comme un homosexuel militant, défenseur de la liberté
de mœurs. Il ouvrait la voie à une rencontre de deux causes jusque-là plutôt
allergiques l’une à l’autre : le nationalisme
xénophobe et l’activisme homosexuel. Après lui, d’autres ténors anti-immigrés
comme Rita Verdonk et Geert Wilders, enfourchant le cheval de la défense des
minorités sexuelles, s’assurèrent de beaux succès électoraux aux Pays-Bas.
Le cas n’est pas si singulier, en témoigne la tenue, en
janvier 2011, d’un colloque consacré au thème inédit du « Nationalisme
sexuel » en Europe (1). L’un des organisateurs, le
sociologue Éric Fassin, souligne que les droits acquis par les femmes et les
homosexuels se prêtent, en Europe de l’Ouest, à devenir les emblèmes d’une
modernité menacée par des cultures qualifiées d’archaïques :
celles des immigrés. « Contrastant avec la
masculinité normative qui définissait autrefois le nationalisme »,
les causes féminine et homosexuelle sont aujourd’hui mobilisées par des
mouvements de défense identitaire et xénophobes ayant pour cible l’islam.
L’« homonationalisme »
L’impact de cette alliance improbable se mesure au Danemark,
où « l’homonationalisme »
tend à devenir une sorte de bien public à protéger contre des ennemis « étrangers »
(2). En 2001, les organisateurs de la gay pride de Copenhague n’hésitent pas à
décerner le « prix de l’homophobie »
aux pays musulmans. Aux Pays-Bas, une section de police LGBT
(lesbienne-gay-bisexuelle-transexuelle) est affectée à la protection de ces
minorités menacées, dit-on, par des agresseurs musulmans. En 2010, l’UDC (parti
xénophobe suisse) crée sa « section gay »,
comme la très vindicative English Defense League. Le rapprochement ne va pas de
soi, les homosexuels issus de l’immigration en savent quelque chose, tout comme
les milieux nationalistes homophobes. Mais la « patrimonialisation »
de l’homosexualité est d’autant plus aisée que, dans ces pays, les lois le
permettent et que l’opinion xénophobe se manifeste. En France, la question
s’est plutôt cristallisée autour de la condition féminine et de la polygamie,
sous l’apparence d’un universalisme laïc et républicain. Il n’empêche qu’ici ou
là, l’évidence de lignes de partage culturelles s’impose :
en 2004, lors du défilé parisien célébrant la journée internationale des
femmes, prostituées et femmes voilées se virent expulsés en fin de cortège (3).
Quant à la cause homosexuelle, longtemps fustigée par une droite identitaire
catholique, elle fait aujourd’hui son entrée par la porte de l’anti-islamisme :
en décembre 2010, Marine Le Pen déclare vouloir protéger les minorités
sexuelles contre les « lois religieuses »
des quartiers. Et l’on signale déjà quelques transfuges et autres coming-out.
Reste à voir s’ils seront nombreux.
Nicolas Journet
NOTES
(1) Colloque « Sexual nationalism.
Gender, sexuality, and the politics of belonging in the New Europe »,
université d’Amsterdam, 27-28 janvier 2011.
(2) Michael Nebeling Petersen, « Homosexual
inclusions and nationalist formations in contemporary Denmark »,
communication, op. cit.
(3) Julie Billaud et Julie Castro, « Whores
and Niqabees. An essay on the shifting boundaries of French nationalism »,
communication, op. cit.