Le Conseil constitutionnel, saisi le 29 février d'une question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 222-33 du code pénal qui définit le délit de harcèlement sexuel, a décidé vendredi 4 mai d'abroger cet article, le jugeant contraire à la Constitution
(lire le communiqué).
L'article concerné indiquait : "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende." Son abrogation "est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement", c'est-à-dire en cassation, précisent les Sages. Jusqu'à ce qu'un nouveau texte soit adopté par le législateur, les personnes dont les procès sont en cours ne peuvent donc plus être condamnées pour cette infraction.
DÉFINITION JURIDIQUE TROP VAGUELe Conseil avait été saisi de cette affaire par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée en cassation par Gérard Ducray, ancien député du Rhône, condamné en appel en 2011 pour harcèlement sexuel à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende. Il considérait que le code pénal, laissant au juge une trop grande marge d'appréciation des éléments constitutifs du délit qui lui était reproché, permettait "tous les débordements, toutes les interprétations", avait plaidé son avocate, Me Claire Waquet, à l'audience du 17 avril devant les Sages.
Pour elle, son client ne s'était livré, sur trois femmes, qu'à des "avances un peu lourdes" qu'il n'avait pas réitérées. Cela "peut aller très loin !" avait-elle estimé. De fait, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de l'article incriminé méconnaissaient "le principe de légalité des délits et des peines" et les a donc déclarées contraires à la Constitution.
Ce principe, résultant de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, "implique que le législateur définisse les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis", rappelle le Conseil, ce qui, selon lui, n'était pas le cas pour le délit de harcèlement sexuel.
"MESSAGE D'IMPUNITÉ D'UNE EXTRÊME GRAVITÉ""Aujourd'hui, toutes les procédures en cours pour harcèlement sexuel sont annulées, c'est un message d'impunité d'une extrême gravité à l'égard des harceleurs", déclare Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). L'AVFT était "intervenante" dans la procédure initiée devant le Conseil constitutionnel par un homme condamné pour harcèlement sexuel, qui considérait que l'article concerné du code pénal ne définissait pas assez précisément ce délit et en demandait donc l'abrogation.
L'association souhaitait elle aussi que ce texte, qu'elle critique depuis son adoption en 2002, soit abrogé, mais de manière différée, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique jusqu'à l'adoption d'un nouveau texte. Le Conseil constitutionnel a décidé l'abrogation immédiate, au nom du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. "C'est la décision qu'on redoutait le plus, qu'on avait essayé d'éviter en intervenant dans la procédure, le Conseil a donné intégralement raison à un homme condamné pour harcèlement sexuel", a ajouté Marilyn Baldeck.
"Compte tenu de son immense responsabilité vis-à-vis des victimes, il est maintenant de la responsabilité du législateur, dès que l'Assemblée nationale sera réélue, de mettre à l'ordre du jour prioritairement, avant tout le reste, le vote d'une nouvelle loi, a encore estimé la déléguée générale de l'association. Il faudra que cette fois le travail soit fait de manière sérieuse et non de manière insultante pour les victimes."
Dans un communiqué, un collectif d'associations et d'organisations féministes (Marche mondiale des femmes, Femmes solidaires, AVFT, Collectif féministe contre le viol...) juge "révoltant" le "message d'impunité ainsi adressé aux harceleurs". "Jusqu'au vote, le cas échéant, d'une nouvelle loi, les victimes sont abandonnées par la justice", dénonce ce collectif.
Le délit de harcèlement sexuel avait été introduit dans le code pénal en 1992, puis précisé par les lois du 17 juillet 1998 et du 17 janvier 2002. Le Conseil constitutionnel a estimé qu'en punissant "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle" sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, "la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique".
Il a par ailleurs considéré que ce délit est punissable "sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis". Cette loi du 17 janvier 2002 était contestée à la fois par une association de victimes et par un condamné pour harcèlement car elle était jugée trop imprécise, donc susceptible de dérives.