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*Post-gay, la politique queer débarque !

--> un entretien avec M.H. Bourcier (Multitudes)
Post-gay, la politique queer débarque ! Publié dans le supplément "spécial queer " des Lettres francaises dans l’Huma

par Marie-Hélène Bourcier Mise en ligne sur Multitudes le dimanche 19 septembre 2004

Entretien par Jérôme Alexandre Nielsberg et Franck Delorieux. La sociologue Marie-Hélène Bourcier explique l’origine et l’originalité des « queer theories », les actions artistiques mais aussi politiques qu’elles inspirent.

Les universitaires et certains militants associatifs français commencent à prendre au sérieux un courant réflexif qui se développe depuis une quinzaine d’années sur les campus américains et que les anglo-saxons appellent les "Queer Theories", les "queer studies". Quand donc sont apparues ces queer theories et de quoi s’agit-il ? La théorie queer est née d’une culture activiste et d’une phase féministe critique dont Gender Trouble est un témoin majeur. Elle est aussi indissociable du post-modernisme et de la place qu’il a dégagé pour l’affirmation sub-culturelle ou microculturelle et ce bien avant les années 90. La France a volontairement loupé le cultural turn dans son ensemble : études culturelles, études sur les médias, théorie post-coloniale pour ne pas parler du mouvement théorique féministe. A qui la faute ? A la morphologie du savoir français et universitaire que caractérise son hiérarchisme et son encroûtement dans le canon classique de la haute culture. Au partage disciplinaire antique qui structure nos pensées et au cloisonnement des sphères : nos universités ne sont pas faites pour apprendre au gens à vivre et à se construire mais à rationaliser à défendre l’existence de savoirs dits objectifs et républicains. Problème : cela devient de plus en plus difficile de nier le caractère blanc, hétérocentré et donc politique des savoirs que l’on nous transmet. La France a résisté des quatre fers tout en produisant de sérieuses menaces théoriques susceptibles d’ébranler sa splendeur structuraliste et universaliste. Je pense notamment à Derrida dont le potentiel décontructiviste à pu se répandre ailleurs qu’en France. L’ironie jouissive, c’est que la théorie queer est aussi une relecture et une repolitisation inattendue et sans doute guère désirée par ceux-ci de penseurs français : Foucault, Deleuze et Wittig.

Les auteurs "queer", dans leur travail de déconstruction des normes se sont d’abord intéressés aux normes fondant nos identités sexuelles, puis à celles fondant nos identités de genre. Mais l’identité d’un individu ne se cantonne pas à ses pratiques sexuelles ou à son genre. Les queer theories mènent-elles aussi l’analyse sur d’autres constructions identitaires : l’ethnie, la classe... ? C’est vrai que le point de départ de la théorie queer est la remise en question couple normal/déviant et du binarisme de la différence sexuelle. Paniquant pour les uns, libérateur pour mal d’autres. Il est aussi vrai que l’un des grands chantiers de la théorie et des politiques queer, réalisé avec plus ou moins de bonheur, est d’essayer de prendre en compte les différents niveaux d’oppression sociale, économique et culturelle non de manière cumulative, mais de voir en quoi la construction ou la production des genres de la race, des corps normaux et des nations sont indissociables. Les politiques queer des différences s’ingénient à prendre en compte cet impératif d’« intersectionnalité » de manière à ne pas reproduire l’obnubilation excluante sur un seul facteur de domination : la classe pour le marxisme et les politiques dites de gauche, le genre pour le féminisme et les politiques anti-sexistes , la race pour la critical race theory et les politiques anti-racistes.

L’application des queer theories en politique s’est surtout faite dans le cadre de luttes micro-politiques, pour tel ou tel groupe minoritaire. Au niveau d’une lutte politique plus large, quel peut être l’apport des queer theories ? J’aimerais répondre de manière assez longue pour ne pas dire programmatique à cette question. Première précision : l’originalité des politiques queers a été justement de ne pas défendre telle ou telle minorité ou identité minoritaire séparément qu’il s’agisse de la femme, de la lesbienne, de l’homosexuel. Deuxième précision : on a beaucoup parlé de micropoliques pour qualifier les champs d’application des politiques queers, en résonnance avec la conception foucaldienne d’un pouvoir de moins en moins centralisé et juridique mais de plus en plus éclaté en une myriade de technologies de pouvoir, de pouvoirs-savoirs qui disciplinent bio-poliquement les corps et génèrent plus de normes qu’une Loi. Et on a eu raison. Cette stratégie marche. Des solutions inédites ont été trouvées pour assurer la survie et la célébration des corps queer en puisant dans les subcultures des minorités sexuelles et de genres (pédés, trans, travestis, intersexes, gouines, transgenres, drag king, « séropos » queercrip -handicapés queers-) des années 90 sachant que les pervers criblent l’espace urbain depuis le XIXème siècle. Théorie queer et mouvements queer se situent très exactement à la jonction entre l’analyse de la production du corps moderne et l’émergence revendiquée de corps post-modernes. On est dans de l’anatomie politique très concrète là et bien au delà de la question homosexuelle.

Maintenant, vu le degré de fossilisation des politiques gaies assimilationnistes officielles, les théories et les politiques queers sont nécessaires pour lutter contre la restriction et la segmentarisation de l’agenda politico-sexuel. On nous rebat les oreilles avec le mariage gay au point de faire oublier les politiques du mariage. Au point de coller à l’agenda anglo-saxon des droits et surtout de se laisser embarquer dans une linéarisation des enjeux au tracé pour le moins troublant : après le mariage viendra l’inévitable homoparentalité selon les disponibilités et l’étalement de la présence médiatique des intellectuels gays français pro-mariage qui ont tous en commun de ne pas vouloir se marier. Mariage, famille, nation, telle est la sainte trinité familialiste vers laquelle nous entraîne vers cette re-privatisation inédite de la sexualité qui commence avec la bague au doigt et non par un échange de cockrings sur la bite. Œdipe loves you ! C’est Deleuze et Guattari, Hocquenghem et Cressole qui seraient contents de voir les futurs parents gays s’employer à exhiber un « référent père » à côté des paillettes de l’insémination. Alors qu’il y une multitude de registres de la masculinité avérés dans les cultures queer et que c’est une occasion révée de se défaire d’une conception expressive du genre ou causale du sexe biologique !

Comment est on passé de la politique du triangle rose à celle de la triangulation familiale ? Au point de retomber dans le schéma qu’adore la psy championne hors catégories de la re-privatisation et qui consiste à rabattre la reproduction sociale et la construction de l’identité sur la reproduction familiale. Il faut supprimer cette référence évolutive et l’impératif structural oedipien surtout dans notre bonne vieillle France Lacanienne, véritable musée de la diffférence sexuelle ! L’Œdipe dont les critiques féministes et queers ont bien montré qu’il n’est en rien universel pas plus que la prétendue loi de l’inceste d’ailleurs (désolée pour Francoise Héritier) est un opérateur de ségrégation de même que le mariage gay ou autre est un opérateur de discrimination contrairement à ce que nous disent ceux qui nous le représentent comme la panacée de l’égalité ou le triomphe de l’Amour ! Warner, Nadeau, Duggan ont raison d’insister sur le fait que le débat sur le mariage, outre qu’il obnubile l’espace public et masque la diversité des pratiques et des styles de vie gais, lesbiens et trans, est mal posé.

D’où vient que l’on demande tout à la loi (reconnaissance et droits sociaux) au lieu de travailler plus habilement les normes ? Quid de la distribution sélective des privilèges accordée par le mariage qui permettra de discipliner les exclus volontaires ou non du contrat marital : putes, divorcés, serial fuckers, célibataires ? Est-ce que l’on ne confond pas justice sociale et politique sexuelle ? Au lieu de considérer le mariage comme un aspirateur à droits sociaux en tandem (ce n’est pas beaucoup), ne doit-on pas plutôt réfléchir à découpler justement justice sociale et justice sexuelle ? Pourquoi se brider l’imagination et l’efficacité politique au point de vouloir à tout prix intégrer un contrat singulièrement peu souple dans ses clauses et ses variantes pour une époque libérale comme la nôtre ? Si l’on tient à un certain juridisme, ne faut-il pas plutôt demander à la loi de reconnaître d’autres formes de contrats pour reconnaître des formes d’intimité, d’alliance et non de filiation qui n’ont pas à payer le tribut de la différence sexuelle ? Quid des formes contractuelles et consensuelles, érotisées ou pas, nées des cultures SM, des formes de sexe en public comme y insiste à juste titre Warner ? Des réseaux de sociabilité nées de la lutte contre le sida ? Faut-il intégrer ou faire proliférer les contrats ?

C’est là que se situe le questionnement queer. Il faut procéder à un renversement copernicien et laisser tomber par la lorgnette de l’homosexualité et de l’homophobie même si ça donne bonne conscience à tout le monde. Il faut décompacter l’agenda et plutôt s’inspirer de celui de la plateforme des droits établi par le Collectif pour l’Egalité des Droits qui s’est monté en 2004 et qui a été éclipsé par le monomanique manifeste pro-mariage pour l’égalité sur les droits assez digne pour être publié par le journal Le Monde. Significativement, la plateforme riche et militante de ce Collectif évoque la réforme du code civil et ce, pas seulement pour les trans. C’est de là qu’il faut repartir, en amont en demandant une suppression du 1 et du 2 de la sécurité sociale pour tous et aborder la question des discriminations en termes de gender rights et non d’homophobie. Voilà qui concerne tout le monde transversalement.

Les queer theories entrent en contradiction immédiate avec le modèle classique de la création artistique, l’imitatio naturae, dans la mesure où elles déconstruisent toute idée de nature prédéterminée/déterminante de l’humain et considèrent qu’il n’y a pas de modèle originel à imiter. Dans le même temps beaucoup de performer se disent aujourd’hui héritiers des queer theories... Ce n’est pas étonnant que les performers d’aujourd’hui comme ceux et celles féministes des années 70 se réclament de la performance. On sait très bien que ce type de dispositif est majoritairement pratiqué par des artistes politiques et issus des minorités. Beaucoup de manifestations politiques minoritaires empruntent à la performance (les dies ins, les zaps, etc...) Il y en a même qui font remonter l’art de la performance politique aux suffragettes. C’est vrai qu’elles ont fait des actions dignes d’Act Up ou est-ce l’inverse ? Il y a beaucoup de raisons à cela : la performance permet de relire et de re-signifier « en live » face à différents publics un régime de représentation corporelle moderne qui a globalement pathologisé les femmes mais aussi les invertis, les adeptes du plaisir anal, les anormaux, les personnes de couleur. Au lieu d’affronter les disciplines de la représentation dans leur découpage classique (sculpture peinture qui ont pas mal donné dans l’imitatio évidemment mais aussi dans la narratio), les performers queers et là il n’est pas souhaitable de dissocier art, vie, corps et politique, artistes et militants, ne cessent d’exhiber le caractère construit et non original des genres, des corps, des races des zones érogènes, du partage entre l’abject et le normal (je pense à la gynécologie post-pornographique d’Annie Sprinkle, à l’anus solaire de Ron Athey, et aux irruptions anti-racistes d’Adrian Piper dans les rues et les salons). Ce faisant, ils ne rejoignent pas la culture du theatro mundi (rien de plus anti-théâtral finalement que la culture de la performance) et ils ne séparent pas sphère esthétique et sphère politique. La politique classique est une accumulation de performances catachrétiques et autoritaires pour ainsi dire qui masque sa généalogie, sa dérivabilité et le fait que la forme performative peut faire l’objet d’appropriations populaires. C’est ce à quoi on assiste depuis les années 70 aux Etats-Unis où les copies sans original font rire et pas seulement à Las Vegas. En France, ça commence mais avec beaucoup plus de sérieux et comme le montre assez le film Podium on voudrait nous faire croire que la performance est triste et qu’il faut lire tous les (grands) livres. Ce n’est pas vrai.

Ecrit par post-Ô-porno, le Lundi 21 Novembre 2005, 12:25 dans la rubrique "Queer".
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