*Pour l’unité des féministes, non à la pénalisation des clients de la prostitution
Pour l’unité des féministes, non à la pénalisation des clients de la prostitution
-> Un article lu sur : mediapart.fr
A la veille de la Journée contre les violences faites aux femmes,
dimanche 25 novembre, les vingt-cinq signataires de ce texte mettent en garde
contre les choix du gouvernement et du Collectif national droit des
femmes. « La pénalisation aboutirait simplement à faire
disparaître la prostitution de l'espace public et à rendre encore plus
défavorables la conditions des prostitué-e-s », affirment Véronique
Dubarry, Eric Fassin, Stéphane Lavignotte, Janine
Mossuz-Lavau ou encore Eleni Varikas.
Prétendre s'intéresser au sort des prostitué-e-s en
criminalisant leur activité, telle semble être la nouvelle politique de la
gauche en matière de prostitution. En décembre 2011, Danielle Bousquet,
socialiste et Guy Goeffroy, UMP avaient ensemble déposé une proposition de loi
exposant celui qui recourt aux services d’une prostituée à une peine de deux
mois de prison et de 3 750 euros d’amende. En juin dernier, Najat Vallaud
Belkacem, ministre des droits des femmes, a affirmé son intention de voir
disparaître la prostitution et proposé pour cela la pénalisation des clients.
Enfin, pour répondre à une promesse de campagne de François Hollande d'abroger
le délit de racolage passif, mis en place par Nicolas Sarkozy en 2003 en tant
que ministre de l’intérieur dans le cadre de la Loi sur la sécurité intérieure
(LSI), une loi proposée par EELV devait être discutée au Sénat le 21 novembre
prochain. Mais elle est finalement retirée car la ministre veut plus de temps
pour repenser plus globalement la question de la prostitution. A présent, elle « étudie »
le modèle suédois de lutte contre la prostitution qui est passé, en pénalisant
les clients, du modèle abolitionniste au modèle prohibitionniste selon Don
Kulick, ce qui a conduit à l’aggravation de la situation des prostitué-e-s (1).
Dans le même temps, après le verdict de Créteil qui a une
nouvelle fois révélé la clémence particulière de la justice vis-à-vis des
auteurs de viol, la manifestation du 25 novembre contre les violences faites
aux femmes prend cette année un sens particulier qui exigerait la mobilisation
unie de toutes les féministes. Or, le Collectif national droit des femmes
(CNDF), en faisant de la pénalisation des clients une des revendications de son
appel, divise les féministes et exclut de fait les prostitué-e-s et leurs
organisations de cette échéance, alors même qu'elles sont particulièrement
soumises aux violences de la police ou des clients.
A la différence de la LSI, pénaliser les clients fait des
prostituées non plus des coupables mais des victimes selon la logique
suivante : si les clients risquent des peines, la demande se réduira et la
prostitution finira par disparaître. Cela n'est pas vérifié dans les pays où
cette politique a été mise en œuvre : la prostitution s'invisibilise
mais ne cesse pas. Elle s’appuie d'autre part sur une représentation
stéréotypée qui fait de tous les clients des pervers violents qui réduisent les
femmes à des marchandises. Mais cette représentation univoque ne permet pas aux
prostitué-e-s de faire entendre leur voix lorsqu'elles veulent être défendues
contre les clients violents. Enfin, rien n'est prévu en terme de moyen pour la
réorientation des prostitué-e-s qui le souhaiteraient, que ce soit l’octroi de
titres de séjour avec autorisation de travail pour celles qui sont sans-papiers
ou encore la facilitation du changement d’état civil pour celles qui sont
trans, par exemple.
La pénalisation des clients s'inscrit en réalité dans la
lignée de la LSI, dont elle n’est que le double inversé. Le délit de racolage
est une loi sécuritaire qui n'a pas rempli ses objectifs en matière de lutte
contre les réseaux et a eu pour principal effet d'aggraver la situation de
précarité et de stigmatisation des prostitué-e-s, en les exposant
particulièrement aux violences policières. Mais, de la même manière, pénaliser
les clients revient à criminaliser les prostituées d’autant plus que la LSI est
en vigueur. Sans véritable impact sur les clients, qui ne sont d'ailleurs que
très rarement sanctionnés par la législation déjà en vigueur concernant les
mineurs, la pénalisation aboutirait simplement à faire disparaître la
prostitution de l'espace public et à rendre encore plus défavorables la
conditions des prostitué-e-s. Contraintes d'exercer dans des lieux clandestins,
les prostitué-e-s auraient encore moins accès aux services de santé publique et
de travail social, et seraient davantage exposées aux agressions. Les effets en
seraient désastreux pour leur santé, leur intégrité physique et leur
liberté.
La droite sarkozyste nous avait habituées à la criminalisation
de la pauvreté. Rien ne change, c'est la même ambition de régler les problèmes
sociaux par une démarche sécuritaire. Fondamentalement, ce qui guide cette
démarche, c’est « avant tout de faire disparaître des paysages urbains
une activité qui heurte la sensibilité de riverains qui sont aussi des
électeurs » (Contretemps du 17 avril 2011). C’est pourquoi,
quelle que soit notre position sur la prostitution, nous refusons la
pénalisation des clients.
Signataires :
Célia Baudu, transsexuelle, militante du front de
gauche et militante associative LGBTI
Margot Beal, militante au NPA
Solène Brun, militante au NPA
Isabelle Clair, chercheuse
Lucie Définod, militante féministe
Virginie Descoutures, chercheuse
Véronique Dubarry, adjointe (EELV) au maire de Paris
Héloise Duché, militante du Front de gauche
Corine Faugeron, adjointe (EELV) au maire du IVe
arrondissement de Paris
Eric Fassin, chercheur
Capucine Larzillière, militante du Front de gauche - Gauche
anticapitaliste
Stéphane Lavignotte, pasteur, Mouvement du christianisme social
Anne-Charlotte Lhopital, membre du CA du Planning familial du Rhône
(PF69)
Philippe Mangeot, revue Vacarme
Elsa Manghi, syndicaliste
Janine Mossuz-Lavau, chercheuse
Séverine Oriol, salariée/militante du PF69
Céline Pétrovic, déléguée thématique Genre, orientation sexuelle et
société d'EELV
Lisbeth Sal, militante du Front de gauche - Gauche anticapitaliste
Sylvie Tissot, chercheuse
Sarah Trichet-Allaire, responsable de la commission féminisme d'EELV
Lucia Valdivia, militante au Planning Familial-69
Eleni Varikas, chercheuse
Anne Verjus, chercheuse
Pierre Zaoui, revue Vacarme
(1) Lilian Mathieu, Répression ou éducation ?
Les paradoxes de la pénalisation des clients de la prostitution. Raisons
présentes, 2012.