Dites, c’est quoi le problème avec le porno féministe ?
Les réalisatrices féministes célèbrent ce week-end leur art aux Feminist Porn Awards de Toronto (Photo : Feminist porn awards)
-> Un article lu sur : metrofrance.com
Ce week-end a lieu à Toronto la huitième édition des Feminist
porn awards, sorte d’ « Oscars » de la pornographie alternative et
engagée, faites par et pour les femmes. L’occasion de dresser le bilan
d’un genre qui a été massivement décrédibilisé dans la presse.
Ces derniers mois, le porno féminin, nouvelle marotte médiatique
derrière laquelle on a collé tout et n’importe quoi, a eu le vent en
poupe, pour le meilleur et pour le pire. Ont été qualifiés de « porno
féminin » tant bien des films soft à l’eau de roses destinés aux
lectrices de 50 nuances de Grey, que des vidéos signées par des
femmes enchaînant fellation-vaginal-anal-éjac faciale comme dans
n’importe quel film pornographique classique.
Face à ce qu’ils ont estimé être une tarte à la crème, un produit
marketing bidon calqué sur la pornographie masculine, beaucoup de
journalistes s’en sont donné à coeur joie en descendant un genre dont
ils ne connaissaient ni l’historique, ni le contenu.
La journaliste Titiou Lecoq, dans un article pour Slate.fr L’impossible porno pour femmes, affirme que « vouloir
produire un porno spécifiquement féminin dénote une vision rétrograde
de la sexualité des femmes ou une volonté de faire du porno politique.
Or la branlette n’est pas politique. Des femmes seront excitées en
regardant d’autres femmes se faire humilier, c’est tout, c’est comme ça.« .
Si, selon cet article, l’idée d’un porno féminin serait « impossible »,
ce serait parce que les femmes auraient majoritairement pour fantasme
de se faire démonter par un acteur à gourmette. Et, si je comprends
bien, ne pas fantasmer exclusivement sur des pratiques d’humiliation
serait rétrograde et un grand pas en arrière pour le bien de la
sexualité féminine. Ah bon.
Non seulement les réalisatrices féministes feraient fausse route en
imaginant que non, toutes les femmes n’ont pas nécessairement intégré
dans leurs fantasmes les schémas de pornographie masculine, mais en
plus, toujours selon le même article, « les pornos pour femmes n’ont jamais connu de franc succès alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à mater du X« .
Les bras m’en sont tombés. En plus de colporter l’idée que le porno
féminin ne serait pas excitant, il ne serait en plus pas regardé.
L’absence de succès du porno féminin : une légende urbaine
Je cite l’exemple de cet article, mais je pourrais vous en ressortir
des dizaines d’autres datant de ces six derniers mois, colportant cette
légende urbaine qui voudrait que personne ne regarderait de porno
féminin.J’ai du mal à identifier d’où la rumeur est partie. Erika Lust
est, par exemple, reconnue à travers le monde, et ses films sont
massivement regardés. All about Anna, film pornographique
féministe danois produit par Lars Von Trier, a été dvd de platine, à un
moment où le marché du dvd X disparaissait pour laisser place à
internet. Je ne connais pas les chiffres de mes consoeurs réalisatrices,
mais en revanche je maîtrise ceux qui concernent mes films. Lors de la
diffusion d’Histoires de sexe(s) en 2010, sorte de comédie de
moeurs explicite, Canal + a effectué son meilleur score d’audience
depuis trois ans pour cette tranche horaire, et a attiré + 400% de
femmes comparé au films pornographiques habituels. Lorsque mon film
suivant, Infidélité, a été diffusé en 2011, il a effectué la meilleure audience de l’année. Idem pour Liberté Sexuelle
en 2012. Aussi, quand je lis des articles affirmant ex nihilo que
personne ne s’intéresse à ce genre, je me dis que, décidément,
l’existence-même d’une pornographie éloignée des codes classiques
irrite, y compris certaines femmes. Il irrite une partie des féministes
qui refusent encore et toujours d’en entendre parler. Il irrite toutes
celles qui, pour des raisons morales, sont opposées au fait que l’on
puisse filmer des ébats sexuels. Et il irrite également toutes celles
qui s’accommodent parfaitement du fait que la fantasmagorie masculine
soit majoritairement représentée dans notre culture, et qui n’ont
surtout pas envie que cela change.
Le porno féminin remonte aux années 80
Non, le porno féminin n’est pas un produit marketing créé récemment
lors afin de conquérir de nouveaux marchés. Il remonte à 1981, lorsque
l’ancienne actrice et militante féministe Annie Sprinkle
a décrété qu’il était suicidaire de laisser la pornographie uniquement
aux mains des réalisateurs masculins, et a réalisé son premier film Deep Inside Annie Sprinkle. Pour elle, « la réponse au mauvais porno n’est pas le porno… C’est essayer de faire un meilleur porno« . Elle a ensuite réalisé des vidéos pornographiques éducatives, avant de finir par obtenir un doctorat en sexologie.
Sa consoeur et amie Candida Royalle,
également ancienne actrice et militante féministe, l’a suivie de près
en créant en 1984 sa propre maison de de productions de films à
destination des femmes, qui, n’en déplaise à certain(e)s, a connu un
franc succès.
Des dizaines de réalisatrices engagées sont ensuite apparues ensuite
dans le monde entier, parmi lesquelles Jennifer Lyonbell, Courtney
Trouble, Maria Beatty, Anna Brownfield, Erika Lust, Emilie Jouvet,
Madison Young, Petra Joy, Shine Louise Houston, et bien d’autres. Elles
sont de plus en plus nombreuses, aux Etats-Unis comme en Europe.
Le porno féminin n’est pas un porno masculin édulcoré
Il existe souvent une confusion entre « fantasmes féminins » et
« fantasmes doucereux ». Durant la période d’engouement médiatique de
ces derniers mois autour du porno féminin, est venue se mélanger l’explosion du mommy porn avec 50 nuances de Grey, créant
une confusion supplémentaire. Le mommy porn a malheureusement tendu à
confirmer le lieu commun que les femmes seraient plus cérébrales et
aussi, disons-le clairement, plus niaises. Le public qui ne connaissait
pas le porno féminin a cru, dans le bougli-bougla journalistique, qu’il
s’agissait probablement d’une version mièvre et édulcorée de la
pornographie masculine contenant, certes, son lot de coïts interminables
dans des positions abracadabrantes, mais avec des pétales de roses et
des ventilateurs dans les cheveux.
Ce qui caractérise la pornographie féminine, c’est sa volonté de
mettre en scène de manière positive une diversité de fantasmes, du plus
soft au plus hard, qui rompent avec les codes classiques de la
pornographie masculine. C’est s’attarder sur des pratiques qui, d’un
point de vue purement physiologique, peuvent faire jouir une femme.
C’est rendre sa part d’importance au clitoris. C’est respecter le corps
des actrices en imposant des règles de safe sexe. C’est aussi
représenter une diversité de beautés, et lutter contre les diktats.
C’est permettre à la spectatrice de pouvoir s’identifier à autre chose
qu’à des stéréotypes qui ne lui ressemblent pas. C’est également, pour
certaines réalisatrices LGBT, la possibilité de mettre en scène de
« vrais » films lesbiens. Et ce genre perdurera, malgré ses nombreux
détracteurs, malgré les censeurs, malgré les Femen qui pensent que le porno c’est le viol,
malgré les journalistes qui soutiennent mordicus que toutes les femmes
n’ont que des fantasmes d’humiliations, malgré certains réalisateurs
masculins qui considèrent que ces films sont navrants. Ce week-end, les
réalisatrices du monde entier célèbrent leur travail aux Feminist Porn Awards, et rappellent ainsi leur volonté de perdurer. Ce genre est né il y a plus de trente ans, et est loin d’être moribond.
Ovidie