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*mémoires d'un hermaphrodite

--> Interview de Del Lagrace Volcano

Entretien de Del Lagrace Volcano,
par Virginie Luc (source)





Mémoires d’un hermaphrodite





"Ma quête est une conquête, celle de ma liberté qui ne ressemble à rien d’autre. Je rejette avant tout le conformisme. Ça ne veut pas dire que je vis dans un ghetto. J’aime les gens ordinaires de mon quartier. Ils sont respectueux. Ça donne un peu de volonté pour être compris par les autres".

Un peu seulement. Del reste méfiant avec l’“ordinaire”. Réticent un temps, j‘ai insisté pour que cette rencontre survienne, lui renvoyant son premier refus comme une attitude discriminatoire, de celles qu’il connaît si bien. Alors même si je ne suis pas intersexuée, même si je n’appartiens pas à sa nuit, Del a finalement accepté notre rencontre à l’occasion de la projection de son documentaire et de la présentation de son livre de photographies « Sublime Mutations » dans le cadre du 10ème Festival des films "gender" (19 au 28 novembre). Il est venu de Londres avec son amie “drag King” Indra.

Del/Della s’est cachée d’abord. Longtemps, elle n’a rien dit. Elle effaçait les traces. Personne ne savait. Ni sa mère, ni son père. Pas même elle. Dans le secret de son corps, elle portait les attributs d’un homme et d’une femme.

Née le 26 juillet 1957 à Orange en Californie et déclarée à la naissance de sexe féminin, Della est élevée comme une petite fille. “Mon père m’a toujours soutenu que j’étais “normale” à la naissance. Il le répétait souvent comme pour s’en convaincre (plus tard, j’ai appris qu’il y avait eu deux autres hermaphrodites dans ma famille). Moi non plus je n’ai rien remarqué”. Jusqu’à la puberté. Des poils trop nombreux, drus sur le visage, foisonnants sur les jambes. La verge aussi, atrophiée, s’est développée. “J’étais horrifiée. Je ne comprenais pas”. Des humiliations en silence : éviter tout contact, des mots d’excuse pour la piscine, la salle de bain en barricade. « J’ai quitté la maison à l’âge de 14 ans. Emporté mon secret. Cherché des réponses dans des études de psychologie et de philo. À l’âge de 25 ans, je suis venu en Angleterre. J’ai étudié la photographie à l’université de Derby… Longtemps, je suis resté en colère : contre moi, parce que je n’avais pas le courage d’être moi-même ; contre le monde entier, parce que violent et ignorant ; contre le silence des adultes, des institutions et des médecins.”

En marge, Della a trouvé des frères de l’ombre. Éprouvé les contours de son corps dans celui des autres, follement. Fragile et puissant, comme un ange incendié. Le monde de la nuit et du travestissement, un univers onirique où les jeux de masques s’inversent. “Jusqu’à l’âge de trente-cinq ans, j’ai porté plein de noms différents, endossé des identités changeantes... Je vivais sur le mode de la rupture et du plaisir viscéral. Chaque jouissance était comme une affirmation de mon être. Pendant toute cette période, je n’ai jamais rien dit, étranglé par la honte. Je me maquillais outrageusement. Me réveillais plus tôt pour épiler mon corps. Je vivais dans un compromis permanent, né de l’hostilité du monde extérieur. À 35 ans, j’ai arrêté de mentir et d’être une femme seulement”. Pour ne pas disparaître, Della, en plein jour, laisse advenir Del et son corps double. “Ma mère et ma sœur ne m’ont pas parlé pendant un an. Elles ne l’acceptaient pas. J’étais repoussante pour celles qui m’envisageaient depuis toujours comme une fille… Ma mère continue de me conjuguer au féminin et ma petite sœur mélange les genres : “mon frère, elle vit à Londres” ! “


Del Lagrace Volcano


“Être le même, cela peut sembler naturel. Moi je sais, plus que quiconque, qu’on n’est jamais le même. Parce que le désir n’est pas le même et ce n’est pas une maladie. Nous sommes des “possibles” qu’on laisse survenir, qu’on accueille ou pas. Une personnalité, c’est par définition multiple. Le jour où j’ai compris ça, j’ai été sauvé. Vivre c’est un effort perpétuel pour ne pas se perdre soi-même de vue”. Del est photographe et vidéaste. Il est le modèle et l’artiste, celui qui regarde et qui est regardé. Son travail est un antidote“pour valider mon existence”, dit Del.

Sa seule existence renverse et déstabilise le système binaire de genre, mâle et femelle. Ça ne fonctionne plus. Son sourire trop gracieux pour être encadré d’une fine barbe. Sa gestuelle de danseuse au bout des membres trop musclés... Impossible ici de faire un choix définitif et stable. Brusquement, je prends conscience de l’arbitraire de nos découpages : homme/femme, il/elle... ce n’est qu’une convention. Comme le temps découpé en secondes, comme le langage qui rationalise mes pensées... Mais quel est le mot pour ne pas dire “il” sans “elle”, pour dire “elle” et “il” en une fois ? Ça n’existe pas (est-ce parce qu’on redoute la différence et le désordre ?)

Dans le monde de Del, les hommes sont des femmes, les femmes des hommes, les deux quelques fois, de nature ou de fabrication, parfois pour une nuit, parfois pour toute la vie. Son amie Indra, ce soir, est Luigi. Il m’autorise ce que sa féminité m’interdisait hier. “Inter-dire” c’est “dire entre nous”, encore un code, une convention, qui règle mon désir. Luigi est beau et il m’intimide. Son pouvoir de séduction me déroute, brouille les codes.

Sur la terrasse du restaurant, dans l’angle d’une petite place parisienne, enveloppé par le regard d’Indra, l’effort se relâche. Et Del, un instant, épanoui dans sa seule présence double, dit cette phrase qui me trotte encore dans la tête : “Longtemps je me suis considéré comme un monstre. Longtemps dans le “F” inscrit sur mon passeport, je lisais “Freak”. Maintenant je lis “Fabuleux””.



"Sublime Mutations", de Del Lagrace Volcano (Konskurbuch Verlag 2000) "Eloge de la Différence" de Virginie Luc (Motta Editore, Milan, Fev. 2005)

Entretien de Del Lagrace Volcano, par Virginie Luc (source)

-> aller sur le site de Del Lagrace Volcano
Ecrit par post-Ô-porno, le Samedi 26 Novembre 2005, 00:50 dans la rubrique "Queer".
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