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*Féminisme, modernité, postmodernisme :pour un dialogue des deux cotés de l’océan

--> par Eleni. Varikas
Féminisme, modernité, postmodernisme :pour un dialogue des deux cotés de l’océan
par Eleni. Varikas
Première publication en avril 1993
Mise en ligne le mercredi 18 février 2004 sur Multitudes

Si, dans ses versions dominantes, la réflexion féministe a historiquement montré un attachement pathétique au projet de la modernité, cette passion - malheureuse car trop souvent à sens unique - est en train de s’affaiblir quand elle ne se tourne pas purement et simplement en son contraire. Pour ne pas avoir rempli ses promesses émancipatrices, la modernité devient l’objet d’une interrogation qui tend à déstabiliser quelques-unes des certitudes les mieux installées de notre tradition de l’Aufklärung, cette même tradition qui a vu naître la demande de l’émancipation des femmes. L’essor, au cours des dernières décennies, d’une réflexion sur le social du point de vue des rapports sociaux de sexe et de la construction du genre vise le cœur de cette tradition et, notamment, son postulat d’une histoire « dont le terme se nomme (...) liberté universelle, acquittement de l’humanité tout entière » [1]. S’il y a un point de convergence dans le corpus extrêmement diversifié de la production féministe, c’est bien la démystification d’une tradition philosophique, politique, scientifique qui, derrière la catégorie abstraite de l’« humain universel », a systématiquement gommé, exclu ou refoulé les expériences de la moitié, voire la majorité du genre humain. La crise atteint une telle ampleur qu’on voit souvent définir le féminisme comme une « forme de pensée postmoderne » [2], oubliant que la pensée de l’émancipation des femmes et de l’égalité des sexes, dans laquelle celui-ci plonge ses racines, a longtemps constitué, et constitue largement aujourd’hui encore, un de ces « grands récits » qui font la cible privilégiée de toutes sortes de critique post-moderne.

L’association du féminisme au postmodernisme est particulièrement pregnante dans le monde anglo-saxon et notamment aux U.S.A. où les confrontations d’ordre métathéorique ou épistémologique ont tendance à se substituer aux clivages antérieurs (entre féminismes libéral, socialiste, radical etc.). Ces confrontations remettent en cause certaines des notions et des présupposés autour desquels s’est historiquement développé le féminisme comme critique et comme projet de société : la perception de la réalité comme une structure que la raison perfectionnée peut découvrir par le moyen d’une recherche scientifique ; la notion d’un sujet rationnel et unifié susceptible d’agir de manière consciente et cohérente pour sa propre libération ; la conceptualisation souvent homogénéisante et ethnocentrique de la catégorie femmes et sa tendance à minimiser voire effacer la diversité (sociale, culturelle, historique, individuelle) ; la prétention à un point de vue critique qui englobe l’ensemble des rapports sociaux injustes ; la vision d’une temporalité linéaire se référant implicitement ou explicitement à une philosophie de l’histoire ; l’idée même d’émancipation comme aboutissement d’une marche progressive du progrès ou de la raison.

Dans la mesure où ces débats interrogent des présupposés implicites et souvent non problématisés de la réflexion féministe aussi bien européenne qu’américaine, ils prêtent à un échange fructueux sur le potentiel, la portée critique et les enjeux du féminisme actuel. Or, les possibilités d’un tel échange entre les deux côtés de l’Atlantique butent sur le caractère fermé et largement autoréférentiel des débats américains dont les références théoriques plongent souvent dans la perplexité quiconque est un tant soit peu familier du paysage féministe européen et notamment français. L’exemple le plus frappant peut être fourni par le corpus théorique désigné de French poststructuralism, French feminism ou même French theory qui est au cœur des polémiques américaines.

Théorie « française » ou « américaine » ?


Comme les adeptes du féminisme postmoderne le soulignent inlassablement, et à juste titre, l’innocence descriptive des concepts cache des stratégies de sélection, de suppression ou de marginalisation qu’on a tout intérêt à interroger ne serait-ce que pour mieux saisir les partis pris théoriques souvent tacites qui les informent ainsi que les enjeux politiques et institutionnels qui président à leur constitution et à leur usage polémique. Resituer la constitution de ce dispositif conceptuel dans son contexte particulier est d’autant plus nécessaire que l’ampleur et la place hégémonique de la production intellectuelle américaine (et notamment des études féministes) [3] dans le marché culturel mondial a la fâcheuse tendance, indépendamment des intentions des auteurs individuel(le)s, d’obscurcir sa dimension locale. De ce point de vue, il me paraît que la communication des deux côtés de l’Atlantique serait plus facile si on admettait que ce qui est notoirement connu, critiqué et débattu comme (French) poststructuralism, French theory est le produit d’une appropriation sélective et d’une réélaboration par certains cercles universitaires américains de la pensée d’un certain nombre d’intellectuels français qui sont rarement regroupés ainsi en France et qui, pour la plupart, n’accepteraient probablement pas cette désignation : Jacques Lacan, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Julia Kristeva, Roland Barthes. De même, l’intitulé de French feminism se réfère à la pensée d’auteurs tels qu’Hélène Cixous, Luce Irigaray ou Julia Kristeva qui, en France, ne se revendiquent pas du féminisme et qui n’apprécieraient probablement pas d’être regroupées sous la même enseigne.

Il ne s’agit évidemment pas de nier le droit de quiconque d’établir des affinités entre des productions théoriques qu’on pourrait considérer, ou qui se considèrent elles-mêmes, comme divergentes ou même opposées. A condition que l’on en soit conscient et que l’on explicite les critères et les partis pris qui président aux procédés de ces réélaborations. Ce qui, à quelques exceptions près [4], me paraît cruellement manquer dans les polémiques américaines sur le postmodernisme ou le poststructuralisme. Car, même quand on s’interroge sur les modalités de production du phénomène poststructuraliste, même quand on fait remonter sa genèse à des enjeux théoriques propres au paysage intellectuel américain, on s’abstient d’interroger ces enjeux et leur validité universelle. C’est le cas de Mark Poster qui tout en définissant le poststructuralisme comme « une lecture américaine » des rapports problématiques entre certains courants de pensée européens [5], souligne la supériorité de cette lecture américaine qu’il attribue au regard distant, et donc libéré des contraintes académiques et institutionnelles européennes. L’hétérogénéité des penseurs de la « théorie française » serait le résultat, non pas tant de divergences substantielles, mais de la « concurrence féroce » à laquelle sont soumises les « stars » des milieux intellectuels parisiens, concurrence qui les empêcherait de reconnaître qu’ils ont un « projet commun » [6]. L’« utilité du terme de poststructuralisme ne devrait donc pas être décidée par les intellectuels français, qui sont peut-être indûment affectés par la myopie parisienne mais par des théoriciens américains qui sont mieux placés pour le faire » [7].

Soyons clairs. Je n’ai aucune intention de nier, encore moins de défendre, la myopie parisienne mais il ne faut pas, me semble-t-il, disposer d’un bagage épistémologique très sophistiqué pour comprendre que la myopie n’a pas de patrie et qu’elle est toujours plus facilement détectable de l’extérieur. Et quand on regarde de loin le marché libre des universités américaines, où l’on a l’impression que la course à la théorie [8] constitue la règle d’or de la réussite, on ne peut que s’émerveiller de l’ingénuité d’une telle affirmation. Ingénuité qui a l’avantage considérable d’être explicitement affirmée, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la majeure part de la production du postmodernisme et du poststructuralisme féministe.

Si ce manque d’examen critique de ses propres présupposés fait problème, ce n’est pas au nom d’une pureté conceptuelle abstraite mais parce qu’il suggère que ces approches nouvelles partagent un grand nombre d’apories avec la tradition théorique qu’elles sont censées combattre. L’usage du qualificatif de « français » pour désigner une certaine réflexion sur la différence des sexes fournit un bon exemple. D’abord, parce qu’en généralisant certaines positions défendues à l’intérieur du mouvement des femmes en France, il en occulte ou disqualifie d’autres, en l’occurrence majoritaires et participe, de ce point de vue, à cette vieille tendance à la conceptualisation abstraite et unitaire qui a, dès le début, marqué la tradition dominante du rationalisme des Lumières [9]. Le qualificatif « national » contribue ainsi à effacer ou trivialiser toute autre position féministe ; il laisse entendre que toute référence en dehors de celles sélectionnées et définies comme French theory ou French feminism, n’est pas théorique (ou n’est pas féministe) et donc qu’on peut s’abstenir d’en débattre. Or, réduire le féminisme « français » à certaines positions théoriques ce n’est pas seulement occulter le fait que la majeure partie des luttes féministes ont été menées en dehors et parfois contre ces positions ; ce n’est pas seulement occulter les positions théoriques les plus influentes dans la réflexion féministe en France [10] ; c’est par là même s’empêcher de réfléchir sur les conditions dans lesquelles ces positions multiples ont émergé, sur leur rapport avec une pratique politique des femmes, sur ce qui fait leur acceptabilité ou inacceptabilité sociale et académique, sur leur dynamique subversive. De ce point de vue, me paraît étonnant le peu de commentaires qu’a suscités dans la discussion américaine du « French feminism » la transformation du Mouvement de Libération des Femmes en marque déposée d’un groupe.

Le qualificatif « national » fonctionne ensuite comme un effet d’unification des références théoriques choisies dont l’affinité ou la compatibilité ont, pour le moins, besoin d’être démontrées. Tout se passe comme si la désignation de « français » effaçait ou rendait secondaires les tensions sérieuses entre les oeuvres de Cixous et d’Irigaray (ou celles de Lyotard et de Derrida).

Par ailleurs, le vocable même de « French feminism » et les paradoxes qu’il évoque posent toute une série de questions sur les modalités différentes de reconnaissance institutionnelle et de légitimation dans les deux pays. Car il y a tout de même des transformations mystérieuses qui ont lieu dans les déplacements transatlantiques des idées et des auteurs. Comment expliquer, par exemple, que des auteurs qui en France évitent systématiquement de s’autodéfinir comme féministes (quand elles ne définissent pas le féminisme comme une expression du phallo-logo-centrisme occidental) acceptent tacitement de se définir comme telles de l’autre côté de l’Océan ? Qu’est-ce qui fait que les titres d’un même article effacent ou au contraire affirment la référence au féminisme selon qu’ils sont publiés en France ou aux U.S.A. [11] ? Et à l’inverse : pourquoi ce qui en France ne se définit pas (et souvent n’est pas perçu) comme féministe n’acquiert un droit de cité dans la communauté académique américaine qu’après être rebaptisé dans la légitimité féministe ? Par quelles sélections et interprétations cette tranformation devient-elle possible ? Enfin, pourquoi certaines approches théoriques américaines ont-elles besoin pour s’affirmer de souligner leur appartenance à la « théorie française » [12] ?

Poser ces questions, ce n’est pas se livrer à une querelle sur les origines nationales des approches postmodernes et encore moins opposer à une fausse perception du ou des féminismes français une autre, prétendument authentique parce qu’indigène. C’est plutôt essayer d’établir, avec le plus de clarté possible, les enjeux d’un dialogue intercontinental sur les options théoriques qui traversent la réflexion féministe actuelle, sur leur compatibilité et leur potentiel critique. C’est, en tout cas l’intention de l’interrogation qui précède et de celle qui suit.

Quelques interrogations sur les sens du « post »


Un des thèmes les plus pertinents pour la critique féministe - et les plus partagés par les multiples démarches connues sous le nom de postmodernisme ou de poststructuralisme -, est la critique de la temporalité linéaire, héritée du discours des Lumières, et de toutes ses implications progressistes qui ont marqué la pensée politique et philosophique de la modernité occidentale. Critique qui se trouve au cœur de la dénonciation des « grands récits » et de leur dynamique légitimatrice de la domination telle qu’on la trouve par exemple dans l’œuvre de Lyotard mais aussi dans une certaine historiographie féministe. Qu’il s’agisse du récit libéral de l’enrichissement progressif de l’humanité, de celui du développement des forces productives ou du grand récit de l’émancipation universelle par le progrès de la science et de la raison, la représentation du temps historique comme une marche progressive/ progressiste vers l’émancipation de tous a fonctionné comme une légitimation de la barbarie impérialiste ou stalinienne.

Or, le terme même de postmodernisme entretient, me semble-t-il, des affinités souterraines avec la vision linéaire du temps et ses présupposés modernistes/ progressistes. La lourde connotation chronologique du « post » (ce qui vient après la modernité) articulée avec la critique systématique des modes de pensée de la modernité laisse entrevoir la prétention à un point de vue supérieur parce que nouveau. Prétention évidente dans une partie considérable de la production du postmodernisme et du poststructuralisme féministe qui présente souvent ses positions critiques comme quelque chose d’absolument neuf, une sorte de rupture épistémologique qui vient souvent comme une révélation [13]. Ceci est accentué peut-être par l’absence, ou la présence marginale, de certaines traditions européennes dans l’université américaine ; absence qui permet par exemple qu’on puisse parler du « caractère situé » (situatedness) de la connaissance sans se référer du tout à Mannheim ou à Dilthey, ou que l’on puisse parler de la « théorie critique » comme d’une invention des déconstructionnistes français en passant pardessus l’œuvre de l’école de Francfort, qui a cependant été partiellement produite aux U.S.A.

Lyotard lui-même reconnaît cette ambiguïté qui s’installe dans le concept tel qu’il l’avait lui-même élaboré dans La Condition post-moderne. Dans un recueil ultérieur, qui porte le titre symptomatique Le Postmoderne expliqué aux enfants, et qui est curieusement beaucoup moins cité dans la littérature féministe, il reconnaît que le postmoderne fait sans doute partie du moderne ; et ceci, dans la mesure où il participe de l’idée bien moderniste que « tout ce qui est reçu, serait-ce d’hier (...) doit être soupçonné », qu’il est possible et nécessaire de rompre avec la tradition et d’instaurer une manière de vivre et de penser absolument nouvelle [14]. Une telle « rupture », ajoute-t-il, « est plutôt une manière d’oublier ou de réprimer le passé (...) que de le dépasser » [15]. C’est pour cela qu’il s’efforce de vider le « post » de son sens de simple séquence diachronique pour lui accorder une signification qualitative. Loin de signifier une nouvelle démarche, le postmoderne serait dans ce cas « tout ce qui dans le moderne allègue l’imprésentable dans la représentation elle-même » [16]. Il incluerait non seulement Proust mais déjà Montaigne [17] ! Le « post » serait ainsi à interpréter comme un processus d’« ana-mnèse », ou d’« ana-morphose » qui réfléchit sur un « oubli initial » [18]. Interprétation qui semble rapprocher Lyotard de l’Adorno et de l’Horkheimer de la Dialectique des Lumières [19] dans la mesure où elle vise à garder la mémoire vivante de toutes les « blessures » qui empêchent la « tranquille perpétuation » du projet moderne.

Mais ces mises au point n’empêchent pas Lyotard de lier cette possibilité d’anamnèse à un certain stade de l’évolution objective qui détermine en quelque sorte la condition postmoderne. Même si on peut trouver des germes précurseurs dans le passé, le postmoderne émerge comme horizon généralisable, à la suite du progrès des technosciences [20] dans les sociétés post-industrielles, un progrès qui transforme la nature du lien social, du savoir et de ses modes de légitimation. Si Adorno faisait remonter la crise du projet d’émancipation à l’autonomisation du progrès technologique par rapport aux fins qu’il était censé servir [21], Lyotard souligne le caractère illusoire d’un projet qui prétend fonder la légitimité de la science sur sa capacité de servir l’émancipation. Cette prétention portait en germe le déclin du récit de l’émancipation puisqu’elle présupposait une continuité entre ce qui est vrai et ce qui est juste. Or « rien ne prouve » une telle continuité. « Entre un énoncé dénotatif à valeur cognitive et un énoncé prescriptif, la différence est de pertinence, donc de compétence [22]. »

Or, la légitimation de la science selon sa capacité de servir l’émancipation ne nie pas forcément cette différence. Elle n’est pas réductible à l’illusion rationaliste qui fait coïncider justice et justesse ni à l’instrumentalisation stalinienne des sciences « qui ne sont là qu’en citation du métarécit de la marche vers le socialisme » [23]. Lyotard le reconnaît lui-même quand il fait référence aux traditions minoritaires du savoir critique. C’est précisément de la distinction entre « savoir positiviste » et « savoir critique », mais aussi entre sciences naturelles et sciences humaines, qu’émerge la nécessité de soumettre la science à une « réflexion sur les buts et les valeurs ». Or, pour Lyotard, cette distinction et l’alternative qu’elle recherche, cessent d’être pertinentes dans les sociétés « post-industrielles ». Elle ne correspond plus « aux modes les plus vivaces du savoir postmoderne » [24]. Ceux-ci sont dorénavant à chercher dans la « pragmatique du savoir scientifique », un savoir dont la légitimité est immanente : « tout énoncé est à retenir du moment qu’il comporte de la différence avec ce qui est su et qu’il est argumentable et prouvable ». Ce savoir produisant de l’« inconnu » plutôt que du « connu », donc instable et ouvert, « correspond à l’évolution des interactions sociales, où le contrat temporaire supplante de fait l’institution permanente dans les affaires professionnelles, affectives, sexuelles, culturelles, internationales, politiques » [25].

Très sommairement, l’analyse de la postmodernité pourrait se résumer ainsi : les sociétés post-industrielles se trouvent dans « une situation originale dans l’histoire » marquée par le « déve loppement quasi exponentiel de la technoscience » et la centralité des modes d’information qui transforment radicalement le lien social (« atomisation du social en souples réseaux d’information ») et la nature et les modalités du savoir. Cette évolution rend caducs tous les modes de pensée sociale et scientifique antérieurs et les grands récits de légitimation auxquels ceux-ci avaient donné lieu. Dans le contexte, on assiste à deux tendances contradictoires : d’un côté, le « système fermé » (pouvoir des institutions) qui, dans sa tendance à ramener toute connaissance, toute information au seul principe d’efficacité (performativité) de son propre fonctionnement, s’inscrit contre la logique de la multiplicité et de l’ouverture des échanges d’informations ; de l’autre, la « pragmatique du savoir scientifique » qui constitue « l’antimodèle du système fermé » et dont le prototype est fourni par les pratiques de la recherche métamathématique, de la mécanique quantique, de la théorie des catastrophes. S’intéressant aux indécidables, aux quanta, aux paradoxes pragmatiques, la science postmoderne fournit le paradigme du savoir postmoderne, par définition non dogmatique, complexe, instable, toujours ouvert à la contestation vérifiée, donc au renouvellement des idées. Un « nouveau décor » se dessine : « Le cosmos est la retombée d’une explosion. (...) Le cortex humain est l’organisation matérielle la plus complexe qu’on connaisse ; les machines qu’il engendre en sont l’extension ; le réseau qu’elles formeront sera comme un deuxième cortex, plus complexe ; il aura à résoudre les problèmes d’évacuation de l’humanité ailleurs avant la mort du soleil ; le tri entre ceux qui pourront partir et ceux qui sont voués à l’implosion a commencé sur le critère du "sous-développement" [26]. »

La ressemblance de ce résumé, sans doute caricatural, au grand récit du progrès illimité de la science et du savoir n’a bien entendu rien d’une coïncidence. Elle vise à montrer que la critique postmoderne des métarécits peut en constituer un autre, du moins aussi « grand » et parfois aussi épique [27]. Et s’il ne fait pas justice aux hésitations [28] et aux questions que l’œuvre de Lyotard laisse en suspens [29], son propre traitement en bloc des « grands récits de la modernité » est bien plus caricatural. Le scénario décrit ci-dessus est peut-être schématique mais il n’est pas arbitraire. II vise à souligner la persistance, au sein de la critique postmoderne, de quelques-uns des présupposés les plus problématiques de la tradition moderne critiquée. Présupposés qu’on retrouve souvent dans les dilemmes et les non-dits épistémologiques de textes féministes récents qui se revendiquent du postmodernisme.

Cette persistance me paraît manifeste dans ce que je désignerais, faute de mieux, un « néo-positivisme méthodologique » : une curieuse réaffirmation de la supériorité des sciences naturelles comme modèle de tout savoir, de tout accès à la réalité ; un déterminisme historique qui réfléchit le postmoderne comme une fatalité, comme une condition imposée à l’humanité par un certain stade de l’évolution historique ; une réaffirmation du principe de réalité aux dépens de l’utopie ; une guerre à la métaphysique (comme fondement du « mensonge » de la modernité) qui rappelle de trop près le matérialisme positiviste (Aufklärung ou scientifique) qui constitue pourtant la cible des récits postmodernes.

Les promesses de la technoscience


Si la critique de la science comme paradigme de toute vraie connaissance fut un des points de convergence entre la théorie féministe et une certaine critique postmoderne de l’Aufklärung [30], il est assez déroutant d’observer la fascination qu’exerce sur certaines féministes le progrès des sciences exactes. Qu’il s’agisse de nouvelles théorisations du sujet politique, modelées sur la physique contemporaine et les théories du chaos [31], ou des spéculations sur l’identité subversive des mutants-Cyborgs (CYBernetic ORGanism) [32], tout se passe comme si la révolution de la technoscience réalisait enfin un rêve qui, depuis le XVIIIe siècle, était resté inaccompli : la possibilité d’une vraie connaissance des lois qui gouvernent le Cosmos, des lois qu’on devait imiter et auxquelles on devait se conformer. Que ce savoir apporte des connaissances nouvelles qui auraient consterné les scientifiques du XVIIIè ou du XIXè avides d’harmonie et d’ordre, qu’il indique que l’imprévisible, la détermination locale, la discontinuité ou le chaos [33] gèrent l’univers, ne change rien à l’affaire. Car, il ne nous éclaire pas sur les manières de penser le social. Rien ne prouve, pour utiliser une expression propre aux procédures de légitimation des sciences exactes, que ce qui est valable pour l’explication des faits naturels le soit aussi pour les faits sociaux. Rien ne prouve que la « révision radicale de l’idée de trajectoire continue et prévisibile » [34], suggérée par les acquis de la microphysique soit valables pour l’histoire humaine. Rien ne prouve non plus que l’usage du « petit récit », privilégié par les sciences dites exactes, a une validité méthodologique exclusive dans les sciences sociales et humaines. Rien en effet, sauf cette vieille croyance selon laquelle nous ne sommes que des cas particuliers, au même titre qu’une nébuleuse dans une voie lactée, d’un univers cosmique géré par les mêmes lois ou - selon la version (post)modernisée présentée par Donna Haraway - un « sous-système parmi d’autres dans une architecture systémique dont les modes d’opération de base sont probabilistes et statistiques » [35].

Le Manifesto for Cyborgs [36], une des références les moins controversées dans la littérature féministe postmoderne, en constitue un bon exemple. « Mythe politique ironique » et analyse « politique scientifique » [37] à la fois, le Manifeste se veut une contribution au renouvellement nécessaire du féminisme socialiste des années 1980. Produit de l’accouplement de la machine avec l’organisme vivant, le cyborg est un hybride qui évoque à la fois l’évolution des technosciences et du savoir, leurs effets sur l’organisation socio-économique (capitalisme tardif, informatisation de la société, division sociale et sexuelle du travail), l’expérience vécue de ces transformations (pratiques sociales, formes de subjectivités, modes de perception) et les potentialités politiques ouvertes par celles-ci pour une solution des impasses de la modernité. La postmodernité y est perçue comme une ère nouvelle dans laquelle la société industrielle cède sa place à « un système d’information polymorphe » marquée par les « rapports sociaux de science et de technologie » [38].

Le propos de cet article n’est pas de débattre du bien fondé d’une telle analyse et je suis loin de contester la nécessité d’asseoir la réflexion sur les stratégies politiques féministes sur une analyse sans cesse réactualisée de l’ensemble des rapports sociaux dans lesquels la domination de genre se trouve imbriquée. Ce qui m’étonne, par contre, c’est que cette analyse réitère certains des présupposés les plus problématiques du scientisme dans sa version marxiste (revue et corrigée par un certain féminisme socialiste), présupposés qui attirent cependant les foudres (auto)critiques de l’auteur [39]. Ce ne sont plus (ou plus seulement) les rapports de production mais plutôt les rapports de science et de technologie qui déterminent l’organisation sociale du genre et les modalités des luttes politiques des femmes ; ce n’est plus le travail industriel salarié et ses promesses d’égalisation des sexes et d’autonomie des femmes, mais la « homework economy » avec sa dynamique mondiale d’« érosion » du genre qui structure les possibilités de l’émancipation ; ce n’est plus l’éducation de la classe ouvrière qui promet de dissiper les vestiges archaïques de l’inégalité des sexes mais la culture high tech bouleversant les dualismes de la culture occidentale qui avaient sous-tendu la « logique et les pratiques de la domination des femmes, des gens de couleur, de la nature, des ouvriers, des animaux » [40]. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est la recherche d’une causalité première, d’un nouvel « en dernière analyse » auquel peuvent être rattachés les morceaux « infiniment complexes » du puzzle des rapports sociaux postmodernes.

De ce point de vue, il me semble que, contrairement à ce que soutien Haraway, son cyborg a bien une « histoire d’origine dans le sens occidental du terme » [41] : le mythe du progrès des technosciences avec sa dynamique contradictoire mais (sur)déterminante des moindres manifestations de vie sociale ou de comportement humain, depuis l’affectivité et les préférences sexuelles jusqu’au choix des alliances politiques qui s’imposent. Il est vrai que, du haut de sa culture « high tech », le cyborg voit avec une incrédulité ironique les mythes d’unité et de plénitude originelle ; mais il/elle ( ?) envisage avec une crédulité, décevante pour sa réputation légendaire d’irrévérence, la version de réconciliation finale promise par la technoscience sous forme de rupture de frontières entre humain et animal, organisme vivant et machine, physique et non physique, homme et femme et ainsi de suite [42].

Le Manifeste explicite et radicalise les éléments de déterminisme technologique de la réflexion lyotardienne. Il suppose tout d’abord un rapport automatique ou linéaire entre les transformations structurelles objectives et la façon dont elles sont vécues par les individus et les groupes - qui seul peut juger de leur dynamisme historique. Car à supposer que l’analyse de Haraway soit correcte, rien n’indique que le processus de féminisation/ déqualification, liée à l’informatisation du travail, va forcément dans la direction d’une « érosion » du genre [43]. On peut au contraire imaginer que, comme ce fut le cas en Angleterre au début du XIXè siècle [44], ce processus, qui réduit des populations entières d’ouvriers qualifiés masculins à la précarité matérielle et à la dévalorisation symbolique des emplois féminins, peut engendrer des besoins et des réactions sociales allant dans le sens d’une réaffirmation voire d’une intensification de la différenciation des sexes. Comme dans le passé, ceci va dépendre des manières dont les hommes et les femmes vont subjectivement reconstruire ces transformations, des manières dont ils/ elles traduiront cette expérience subjective en action ; aucune dynamique objective du développement technique ne peut cerner ces processus subjectifs si ce n’est les rapports déforce concrets (entre les sexes, entre les classes, entre Nord et Sud) dans lesquels ces processus ont lieu [45].

L’histoire du XXè siècle a confirmé de manière tragique combien la « conviction de nager dans le sens du courant » [46] peut être dangereuse. L’auteur du Manifeste souligne que la biologie et la théorie de l’évolution des deux derniers siècles ont réduit la distance entre humain et animal à une « faible trace » retranscrite dans les luttes idéologiques ; penser que cela conduit à un discrédit de la célèbre rupture entre nature et culture, favorable à l’érosion du genre, est aussi aléatoire que penser que la non-pertinence de la catégorie génétique de race mène forcément à l’érosion du racisme. Cela ne veut certes pas dire qu’on ne doit pas recourir à ces connaissances mais que la définition de leur sens socialement pertinent se décide plus dans le champ des « luttes idéologiques » et des rapports sociaux antagoniques que dans celui de la pragmatique du savoir scientifique [47]. L’effacement des frontières entre l’humain et l’animal peut prendre des formes bien plus sinistres que celles évoquées par le Manifeste. Et si le déterminisme biologique et la sociobiologie ne sont pas les seules manières de réfléchir sur le sens de l’animalité humaine [48], ils constituent tout de même les versions dominantes de la pensée sociale et politique. Dans ce contexte je pense qu’il est du moins aussi dangereux- de prendre, comme le suggère Haraway, nos exemples d’une nouvelle organisation sociale dans la « politique des singes » qu’enseigner aux enfants la version chrétienne de la création du monde [49].

Croire à une dynamique automatique du savoir scientifique qui nous délivrera de l’« erreur » (du rêve d’une émancipation universelle ou des dualismes de la civilisation occiden tale) c’est, me semble-t-il, nous priver des moyens de venir à bout de l’entreprise qui semble également préoccuper un grand nombre des féministes qui se réclament du postmodernisme soumettre à une (auto)critique systématique les prétentions globalisantes des analyses féministes et des points de vue politiques qui les informent. Si ces prétentions se sont souvent avérées mystificatrices pour un projet de destruction de la domination, ce n’est pas tellement parce que les nouveaux acquis de la science ont révélé le caractère futile et erroné de tout effort de totalisation ou de systématisation ; c’est plutôt parce que -se sont révélées efficientes les contestations rigoureuses venant de la part de ceux et celles que ces analyses ne prenaient pas en considération, de ceux et celles dont les expériences historiques ou les aspirations ont été carrément passées sous silence ou simplement présumées identiques, dans la construction de nos catégories d’analyse (classe, genre, racisme, pauvreté, etc.). Et ceci parce que la domination, l’oppression, l’exclusion ne sont pas de simples faits de connaissance mais des faits de société.

Il suffit de voir, à ce propos, combien l’irruption dans la scène politique et universitaire des femmes noires (mais aussi chicanas ou asiatiques) a marqué la méfiance des théories féministes américaines envers les abstractions universalistes. Il est significatif qu’en France (mais aussi dans d’autres pays européens comme l’Italie ou la Grèce), le point autour duquel se sont concentrées dès le début, les polémiques sur la conceptualisation politique de la catégorie femmes (à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement féministe), fut immédiatement les rapports de classes. A suivre les débats américains, on a l’impression que le facteur de classe, comme élément déstabilisateur d’une homogénéité présumée des femmes, n’acquiert une visibilité qu’à partir des débats sur le racisme, comme le suggère ce terme de classism qui déroute parfois le lecteur ou la lectrice européen(ne). Indépendamment de ce qu’on peut penser de cet écart [50], ce qui nous intéresse ici, c’est que les formes de la mise en cause de la conceptualisation homogénéisante sont chaque fois liées à la configuration précise de différents types de rapports sociaux et aux rapports des forces politiques et intellectuels auxquels ceux-ci donnent lieu.

Rapports sociaux et connaissance


Ces mises en cause ont certes des effets de connaissance ; sources de révisions et de réélaborations constantes des catégories principales à travers lesquelles on pense le social et le politique, elles nous rappellent le caractère (historiquement, socialement et culturellement) situé et donc limité et partiel de notre compréhension/reconstruction de la réalité sociale. Les écrits de celles qui s’autodéfinissent comme femmes de couleur témoignent de l’impossibilité d’une universalité élaborée ou définie à partir d’un seul point de vue, aussi subversif et généreux qu’il puisse être. Elles construisent une position cognitive à partir d’un contexte où le racisme, le sexisme et la pauvreté définissent une configuration particulière de l’exclusion et, par là même, la possibilité d’une action politique commune : c’est parce qu’elles sont situées au degré le plus bas des hiérarchies sociales (de « race », de genre et de classe), et qu’elles sont en même temps exclues de l’élaboration de ces catégories [51], que les « femmes de couleur » revendiquent une vision radicalement critique de la réalité sociale. Ces visions critiques, développées par les femmes des minorités noires, mexicaines ou asiatiques des U.S.A., me paraissent en effet l’un des signes les plus prometteurs de la réflexion féministe de cette fin de siècle. Elles ouvrent un espace privilégié qui permet une réélaboration des dilemmes et des apories qui ont marqué. les luttes des femmes et le féminisme des deux derniers siècles : les tensions entre l’autoaffirmation de l’individu et la normativité homogénéisante de la constitution de tout collectif ; la question de la simultanéité des oppressions, irréductible à une hiérarchisation des ordres multiples de domination en termes de « principale » et « secondaire » [52] ; l’impossible tension entre le général ou l’universel (domination de genre) et ses configurations concrètes et singulières. Ces questions réactivent une longue tradition d’hétérodoxie dans la modernité, une tradition minoritaire portée par des individus à l’écart ou aux prises avec les courants contestataires dominants qui se sont obstinés à déstabiliser les certitudes trop simples des récits de l’émancipation ; des individus qui ont tenté de transformer leur marginalité radicale, leur exclusion plurielle en une position délibérée d’étrangeté, un point de vue téléscopique s’efforçant d’englober dans son regard critique l’éventail le plus large possible de rapports sociaux injustes.

Ce positionnement, fondé sur une marginalité assumée, est aujourd’hui considéré par un grand nombre de féministes anglo-saxonnes comme une vole vers le dépassement des apories épistémologiques qui ont dominé les présupposés de la théorie féministe. Le point de vue des « femmes de couleur » (ou des « sujets excentriques » [53], des « autres non appropriées » car--situées consciemment en dehors du circuit de l’hétérosexisme imposé [54]), oppose à l’unicité de la femme la polyvocalité des expériences féminines, à la recherche du point de vue global qui absorbe tous les autres, la recherche de visions de coalition entre oppositions plurielles à la domination. Or, si dans les meilleurs moments de son élaboration, cette position épistémologique renvoie à la construction délibérée d’une identité politique, d’une « conscience oppositionnelle » [55], son usage dans certaines analyses qui se revendiquent du postmodernisme reproduit souvent les problèmes de la conceptualisation abstraite qu’il était censé résoudre. Les modes de construction et d’utilisation de la catégorie femme de couleur dans ces analyses en fournit un bon exemple.

D’abord, parce que la -prise en considération des expériences des « femmes de couleur » ou des « femmes du Tiers Monde » se limite le plus souvent à une juxtaposition rhétorique (l’incantation rituelle « genre, race et classe ») [56], un désaveu abstrait de l’ethnocentrisme occidental qui n’a rien à envier aux procédés de « listage et d’addition » qui sont attribués aux démarches progressistes ou féministes [57]. Ensuite, parce que la construction de cette catégorie et son usage impliquent souvent une homogénéité présumée de positions socio-économiques, d’expériences, de cultures et de points de vue politiques non seulement des femmes « de couleur » [58], mais aussi de celles supposées ne pas en avoir. Si, par exemple, l’élaboration globalisante des notions du privé et du public dans les études féministes est démentie par l’expérience historique des femmes noires, elle est également démentie par celles d’un grand nombre de femmes « blanches » occidentales (immigrées, célibataires, vivant seules, ouvrières, lesbiennes et ainsi de suite). Enfin et surtout, parce que le statut de l’autre ne change pas fondamentalement : il est toujours relatif à un point de vue premier (l’Occident, le féminisme « blanc »), qu’il s’agit maintenant non plus de conforter mais de déstabiliser, de corriger, voire de répudier. Les voix des femmes réduites au silence (noires, immigrées, du Tiers Monde) témoignent prioritairement non pas d’une expérience propre, digne d’être pensée pour son propre compte, mais de la crise du sujet occidental, de ses illusions, et éventuellement des voies de son salut. Ce qu’on attend d’elles, comme le remarque à juste titre Rey Chow, c’est de répondre affirmativement « à un sujet occidental en besoin de messages uniformes en série » [59]. Marques de différence, elles sont le plus souvent intégrées dans le discours féministe en fonction de leur capacité de témoigner de ce qui excède l’expérience des femmes ou des féministes « blanches », de ce qui peut permettre à ces dernières de se comprendre plutôt que de les comprendre.

Ce traitement instrumental des expériences différentes des femmes « de la périphérie » ou des « marges », et la polarité dichotomique que celui-ci entretient (Occident/non-Occident), risque encore une fois d’homogénéiser l’autre, perçue prioritairement à travers ses différences par rapport à lune. La lecture de ces expériences à travers le seul angle de l’altérité empêche d’entendre tout ce que ces femmes ont à dire, excluant ou passant sous silence tous les éléments qui ne correspondent pas aux nouvelles conceptualisations dont celles-ci font l’objet. L’affinité de ces démarches avec l’ethnocentrisme classique a été souvent relevée par des auteurs, dites de la périphérie, qui mettent en avant le danger de pareilles constructions pour une véritable action politique commune [60]. Ainsi, le statut différent de ces expériences féminines n’est reconnu, et l’unicité de la catégorie femmes n’est mise en cause qu’au prix d’une unicité reconstruite de la catégorie femmes de couleur ou femmes du Tiers Monde. Si ces dernières deviennent visibles, cette visibilité implique souvent l’absorption des différences qui existent parmi elles, et donc une nouvelle construction de stéréotypes d’altérité. Opposer par exemple au stéréotype de « l’oral primitif » le caractère « alphabétisé » des femmes de couleur (noires ou coréennes) [61], peut servir les enjeux déconstructionnistes [62]au sujet du primat de l’écrit et de l’oral dans la tradition occidentale, mais laisse en dehors un grand nombre de femmes du Tiers (mais aussi du « Premier ») Monde. Ces femmes analphabètes participent-elles moins à l’identité subversive des cyborgs ?


Sur un plan plus profond, la conceptualisation du point de vue de l’autre laisse en suspens toute une série de questions ce point de vue est-il attaché à une extériorité effective ou peut-il être adopté comme une position politique/épistémologique ? Quel est le sens de la polyvocalité qui lui est attribuée ? Est-elle le produit de perspectives ou de positionnements différents ? Ou est-ce une caractéristique inhérente au statut de l’altérité [63] ? Dans le premier cas, ce point de vue donne-t-il lieu à une vision critique de tout rapport de domination ? Autrement dit, l’extériorité est-elle jamais absolue ? Dans le second cas, que faire des visions politiques différentes entre elles exprimées par des femmes ainsi positionnées ? Lequel de ces points de vue faudrait-il adopter ? Avec quels critères ?

Ces questions ne visent pas à disqualifier le potentiel cognitif radical de ces points de vue mais à mettre en relief les ambiguïtés et les contradictions qui accompagnent, et ont accompagné dans le passé, l’attribution à l’autre d’une mission sotériologique. Du « bon sauvage » au tiers-mondisme, en passant par la femme sauveur, l’histoire de la modernité est traversée par cette quête d’un point archimédique, parce que (et à condition qu’il reste) entièrement extérieur. Que ce point de vue soit porteur de polyvocalité plutôt que d’une vision unifiée, qu’il corresponde au sujet « fracturé » postmoderne plutôt qu’au sujet occidental prétendument unifié, ne change pas la démarche : le sujet de cette connaissance est l’autre considéré exclusivement dans sa différence qui nous apprend ce qui nous manque. Or, l’autre (tout comme « nous ») parle toujours de quelque part, et ce quelque part est souvent inextricablement attaché au nôtre. Les femmes de couleur américaines ne font pas partie d’un ailleurs absolu ; elles, et leurs points de vue, font partie, me semble-t-il, d’une constellation typiquement « occidentale », produit d’une histoire sociale, d’une configuration de rapports sociaux de domination et d’exclusion, symptomatique de la modernité occidentale. Cette configuration particulière et les dilemmes qui la traversent sont d’ailleurs admirablement explorés par la littérature des femmes noires américaines [64]. Elle résulte d’une position (mais aussi d’un choix délibéré) d’intériorité/extériorité ; d’une position qui permet une exploration dialectique de l’identité et de la différence, de l’universalité et de la diversité [65]. D’où l’intérêt crucial de leur critique sociale, d’où la potentialité d’une telle critique d’aller au-delà du même et de l’autre, pour offrir des alternatives de transformation. D’où aussi, le caractère social, donc susceptible d’erreur ou de partialité, de leurs points de vue.

Dangers d’une pensée affirmative


Doter le point de vue de l’autre d’une extériorité absolue est d’autant plus étonnant dans un discours théorique qui souligne le caractère situé - et forcément informé par des enjeux de pouvoir - de toute connaissance. Plus encore : un discours qui proclame l’impossibilité, du moins dans les sociétés contemporaines, de toute distance critique. Car de deux choses l’une : soit la distance critique est abolie dans l’ère postmoderne et donc la polyvocalité est, tout au plus, une réaffirmation du pluralisme libéral des points de vue qui s’équivalent, parce qu’ils sont également intégrés ; soit, il y aurait encore aujourd’hui des « moments de vérité », des positions critiques privilégiés et, dans ce cas, la polyvocalité signifierait que, s’il est impossible de parler de nulle part et encore moins de partout, on peut éventuellement trouver, entre des perspectives différentes de critique de la domination, une possibilité d’action concertée pour son abolition.

Le problème n’est pas purement épistémologique. C’est un problème politique. L’idée selon laquelle toute distance critique est impossible ne désigne pas simplement l’extrême difficulté de développer aujourd’hui une critique vraiment transformatrice de la réalité sociale. Elle participe de ce moment scientiste qui dans le postmoderne postule une « condition » qu’on ne peut ni ne doit critiquer : « La condition postmoderne est ; on ne saurait être pour ou contre, ce qui serait une démarche moraliste [66]. » Malgré la diversité de leurs options politiques, un grand nombre des théorisations du postmoderne partent en effet de ce présupposé. Chez les uns, comme Jameson et dans une certaine mesure Haraway, ce présupposé revendique une continuité avec la dialectique marxienne de la double évaluation du capitalisme (qui serait à la fois « la meilleure chose et la pire qu’ait jamais connu l’humanité ») ; évaluation dont le caractère dialectique est miné par le constat que, contrairement aux phases antérieures du capitalisme, il n’y a plus d’« autonomierelative » et que donc l’existence d’une pensée négative dévient problématique. Chez Lyotard, il s’agit d’une « vérité ancienne » qui explose au grand jour de la conscience postmoderne, comme le produit cognitif des « données qu’on peut recueillir ». Quelles sont ces données ? L’échec des projets d’émancipation universelle, de l’internationalisme face au nationalisme, des tentatives de subordonner le progrès à une demande issue des besoins humains. Des deux premiers, Lyotard conclue « la diversité insurmontable des cultures », du troisième, « que le désir de savoir-faire et de savoir est incommensurable à la demande du bénéfice qu’on peut espérer de leur accroissement » [67]. D’où la « tâche décisive » qu’il assigne à la postmodernité, « rendre l’humanité apte à s’adapter à des moyens (...) très complexes, qui excèdent ce qu’elle demande » ! Dépourvue de son déterminisme scientifique, cette démarche, on la retrouve également dans le bel article d’Agnès Heller [68] sous la forme d’un rejet de l’utopie, d’un appel à assumer la responsabilité du présent (dans son double sens de réalité existante et de cadeau) qui nous est donné, d’y rester non pas par contrainte mais par choix.

En finir avec la « négation de ce qui est (historiquement) donné », profiter de ses aspects positifs, semble pour certaines féministes postmodernes la condition de toute transformation radicale [69]. Mais si ce qui existe ne peut ni ne doit être nié, pourquoi et au nom de quoi serait-on disposé à le transformer radicalement ? Ce retour à la pensée affirmative, cette répudiation du principe espérance au nom du principe réalité, voilà ce que je trouve le plus problématique pour une pensée et une praxis féministe qui se veulent critiques. Car c’est une chose de constater, ou de réfléchir sur, les impasses, les échecs et les apories des grands projets (libéraux, marxistes ou féministes) de fin de la domination et c’en est une toute autre que d’en déduire le caractère inéluctable, la nécessité non seulement de s’adapter à l’existant mais aussi de s’en réjouir. Tout se passe comme si le chat Max, cette création imaginaire de Christa Wolf qui nous apprend bien plus sur le narcissisme des humains que le cyborg [70], avait de nouveau frappé :

« Un beau jour donc, mon professeur me surprit pendant mes études et comme je sais que lui non plus n’est pas exempt du préjugé humain concernant l’incapacité des animaux à s’instruire, je fourrai en un éclair la fiche que je tenais entre mes pattes dans le premier casier ouvert à ma portée et feignis dormir. Ainsi la faculté d’adaptation que j’avais extraite du casier normes sociales se retrouva-t-elle parmi les plaisirs de la vie et mon professeur, qui s’attribua naturellement cette idée, la trouva géniale et en fit un des piliers de SYSAMA (SYstème de SAnté physique et psychique MAximale) [71]. »


Ce « gai renoncement » [72] risque d’enlever à la critique féministe de la modernité tout son potentiel subversif qui s’est historiquement exprimé par une tendance obstinée à nier l’autorité des faits positifs les plus écrasants (l’ubiquité par exemple de l’asymétrie des sexes). Une telle démarche négative a nourri les visions hétérodoxes qui, depuis le XVIIIè siècle ont mis en cause l’universalisme abstrait des droits de l’homme, les enjeux de pouvoir qui peuvent se cacher derrière la rhétorique de l’émancipation, les ruses de la raison instrumentale, la soumission du singulier à l’unicité de la catégorie abstraite. Dissocier ce qui existe de ce qui devrait exister ne fut pas seulement le point de départ des combats du passé contre la domination ; c’est aussi la démarche qui nous pousse aujourd’hui à sauver ce qui, dans la mémoire de ces combats perdus, recèle une autre vérité que les faits vainqueurs appelés logique de l’histoire.

Sur le plan politique, disqualifier cette démarche comme « métaphysique », c’est se laisser identifier aux vainqueurs d’hier et d’aujourd’hui ; sur le plan méthodologique, c’est reprendre à son compte la vieille tradition du matérialisme positiviste qui veut que ce que les hommes ont manqué leur a été refusé ontologiquement [73]. La guerre à la métaphysique qui marque aujourd’hui une partie des critiques féministes de la modernité [74] participe à mon avis de ce danger, dans la mesure où elle prétend corriger la « métaphysique » des grands récits par une position tout aussi métaphysique. Une position qui hypostasie ce que l’humanité a créé et qui, devenu un fait positif, s’impose à la conscience humaine comme allant de sol. Or, la résistance à la toute-puissance des faits positifs, l’aspiration à autre chose que le « présent qui nous est donné » n’impliquent pas forcément, comme le soutiennent les adeptes du féminisme postmoderne, l’invocation d’une quelconque philosophie de l’histoire qui garantirait un avenir autre. Elles n’impliquent pas non plus forcément une référence à des prémisses irréfutables fondées sur une définition métaphysique ou arbitraire de la nature humaine (prétendument appellée à l’émancipation universelle). L’utopie n’est pas forcément un refoulement ou une fuite irrationnelle hors du présent. Elle peut appréhender les faits positifs dans cet espace qui se trouve entre le non plus (ce qui n’est plus tolérable) et le pas encore (ce à quoi on aspire) [75] et fait de cet espace le point de départ d’une praxis de transformation. Et si elle se fonde volontiers sur ces éléments qui, dans le présent, permettent de percevoir la possibilité d’une telle transformation elle n’est jamais réductible à ceux-ci. Car plutôt que d’une certitude, elle procède d’un pari, d’un choix éthique qui ne saurait se décider par une procédure d’administration de preuves [76]. Éliminer ce moment éthique, rejeter ce pari comme « métaphysique » ou « fondamentaliste » (foundationalist) me semble une entreprise incompatible avec toute pensée qui se veut critique. En témoignent les modes de dénonciation par les féministes des grands récits de « la » modernité ou de « la » philosophie occidentale. Car, après tout, au nom de quoi dénonce-t-on la complicité de ceux-ci avec la domination ?

Dans sa tendance à la conceptualisation abstraite et conclusive, la modernité a trop souvent hésité entre la tentation d’ontologiser le progrès ou l’émancipation et celle de traduire « le désespoir historique en norme qu’il faudrait respecter » [77]. Aller au-delà de cette double métaphysique, me semble être une des conditions pour que le féminisme puisse réaliser la portée critique qu’il revendique.

[1] Cf. Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1988, p. 45.

[2] Cf. par exemple Jane Flax, « Postmodernism and gender relations in Feminist Theory », in Signs, 12/4 (1987), p. 622.

[3] Cf. Eleni Varikas, « Genere, esperienza et soggettività. A proposito della controversia Tilly-Scott », in Passato e Presente, a. X (1991), p. 118.

[4] . Cf. par exemple Andreas Huyssen, « Mapping the Postmodern », in Nancy Fraser, Linda Nicholson, Feminism and Postmodernism, New York, London, 1989, Judith Butler, « Contingent Foundations : Feminism and the Question of "Postmo-dernism" », in Praxis International, II/2 (1991) ; Mark Poster, Critical Theory and Poststructuralism. In Search of a Context, Ithaca and London, 1989.

[5] Cf. Mark Poster, op. cit. L’auteur présente ce courant comme le résultat d’une relecture des rapports problématiques entre le structuralisme français et les épigones de la théorie critique allemande ; une relecture faite à la lumière des traditions intellectuelles américaines (empirisme, objectivisme) contre lesquelles ou à partir desquelles se situe ce nouveau corpus théorique.

[6] Cf. ibid., p. 4-5.

[7] Ibid.

[8] Dans son article, « The Race for Theory », Barbara Christian, critique littéraire noire, joue avec les deux sens du mot race (course et race) pour dénoncer les effets pervers de la course à la théorie sur le développement de l’étude de la littérature des femmes noires : « la théorie, une marchandise qui détermine le recrutement et la promotion dans les institutions académiques, pire encore la possibilité de se faire entendre » (in Feminist Studies, 14/1, 1988).

[9] Même dans les rares cas où l’on précise (dans les notes en bas de page) qu’il y a « plusieurs féminismes français », cette mise au point ne fonctionne que comme un correctif formel qui ne change en rien la pertinence du concept. Cf. Jane Flax, op. cit., p. 632. De la même manière, que dans l’historiographie traditionnelle, le rappel que les femmes n’ont pas été incluses dans le suffrage universel ne change en rien le caractère « universel » dudit suffrage.

[10] Il est, par exemple, pour le moins étonnant que l’oeuvre de figures importantes dans la théorie féministe française, comme Colette Guillaumin, Christine Delphy, Michèle Le Doeuff, Nicole-Claude Mathieu, pour ne citer que quelques-unes, brillent curieusement par leur absence dans les références américaines au féminisme français.

[11] Cf. Geneviève Fraisse, « La lucidité des philosophes », in Les Cahiers du G.R.I.F., 46 (1992) à propos de l’article de J. E Lyotard, « Spme of the Things at Stake in Women’s Struggle », Sub-Stance, 20 (1978) dont la version française intitulé « Féminité dans le métalangage », avait paru dans Rudiments Paiens, 10/ 18, 1977.

[12] Après tout l’influence, considérable pendant une période, de Simone de Beauvoir n’a jamais été revendiquée comme du féminisme français.

[13] . En ceci, on peut détecter une continuité dans les réceptions, du structuralsnme et du poststructuralisme qui sont souvent lus sous le mode d’une rupture totale avec les visions théoriques et épistémologiques précédentes. Voir par exemple la manière dont est racontée l’émergence du poststructuralisme en France par Leslie Wahl Rabine, « A Feminist Politics of Non-Identity », in Feminist Studies 1 (1988).

[14] Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, pp. 28 et 114-115.

[15] Ibid., p. 115.

[16] Ibid., p. 31.

[17] Cf. ibid., pp. 30-31.

[18] . Ibid.

[19] « Toute réification est un oubli ». Cf. Théodore Adorno, Horkheimer, La dialectique des Lumières, Paris, Gallimard, 1974, p. 248.

[20] Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979, p. 7.

[21] . Cf. Michael Löwy, Eleni Varikas, « L’esprit du monde sur les ailes d’une fusée. La critique du progrès chez Adorno », à paraître in Revue des Sciences Humaines.

[22] J. -F. Lyotard, La Condition postmoderne, p. 66.

[23] Ibid., p. 62.

[24] Ibid., p. 29.

[25] Ibid., p. 107.

[26] J.-F Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, p. 127.

[27] « Il n’y aura plus jamais de perte et de recul dans les savoirs et les savoir-faire, sauf à détruire l’humanité. » Que ce développement rende cette dernière éventualité plus accessible que jamais et que, comme le remarque Lyotard lui-même ailleurs, il condamne à la famine et au néo-analphabétisme des populations entières, ne semble pas intervenir dans cette description triomphale du progrès des technosciences.

[28] Lyotard n’ignore pas, par exemple, les aspects régressifs du développement des technosciences et en particulier de sa « motricité autonome, indépendante » des besoins humains. Cf. Le Postmoderne..., p. 141. Mais ces aspects sont réfléchis comme « une sorte de destinée », une condition devant laquelle l’humanité reste impuissante ; ils n’interviennent donc pas en dernière analyse dans son évaluation du savoir postmoderne. (Cf. ibid., p. 117, 127).

[29] En particulier la question de savoir si le modèle offert par la pragmatique scientifique est applicable à tous « les immenses nuages de matière langagière qui forment les sociétés », La Condition postmoderne, p. 104.

[30] . Cf. Jane Flax, « Postmodernism and Gender Relations in Feminist Theory », in Signs, 12/4 (1987) et « The End of Innocence », in Judith Butler, Joan W. Scott eds, Feminists Theorize the Political, Routlege, New York, London, 1992.

[31] Cf. Kelly Oliver, « Fractal Politics : How to use thé Subject », in Praxis International, 11/2 (1991).

[32] Donna Haraway, Le manifeste cyborg : la science , la technologie et le féminisme-socialiste vers la fin du XXème siecle , in Futur Antérieur 12-13 : 1992/4-5, 1992. Comme la traduction comporte des inexactitudes et parfois des contresens, je me référerai au texte anglais, paru dans Feminism and Postmodernism, op. cit.

[33] Cf. les références à Gleick et Grutchfield citées par Oliver, op. cit., et celles de la théorie quantique et microphysique discutées par Lyotard dans son chapitre « La Science postmoderne comme recherche des instabilités » pp. 88-97 de La Condition postmoderne.

[34] La Condition postmoderne, p. 91.

[35] Donna Haraway, op. cit., p. 205.

[36] Donna Haraway, op. cit.

[37] Ibid., p. 193.

[38] Ibid., p. 203, 207.

[39] Ibid., p. 202.

[40] Ibid., p. 219.

[41] Ibid., p. 192.

[42] Ibid., pp. 193-195.

[43] Plusieurs recherches de la dernière décennie indiquent au contraire qu’on assiste plutôt à un déplacement des différenciations qui construisent le genre dans le marché du travail et de l’emploi. Pour quelques exemples voir D. Chabaud, « La division sexuelle des techniques » Rapports Sociaux de Sexe : problématiques, méthodologies, champs d’analyse, Apre-Pirttem 1987, J. Huppert-Laufer, « La femme cadre entre l’égalité et la différence », Pénélope. Femmes au Bureau, 10 (1984), M. Glogau « Les secrétaires face à la bureautique. A l’ordre du jour : la libération de l’esprit ? », Pénélope, Femmes et Techniques, 9 (1983), D. Kergoat, « Le travail à temps partiel et les femmes. Du discours aux réalités », Les Cahiers de l Association d’Étude des Réalités Institutionnelles et Politiques, 9-10 (1987), M. Maruani, Ch. Nicole, Voyages à l’ombre d’un doute. Recherche sur l’évolution de la mixité dans le travail et l’emploi, C.ED.T /I.R.E.S., 1984, M. Maruani, « Un droit élastique pour un empli inflexible », Nouvelles Questions Féministes, Femmes, modes d’emploi, 14-15 (1986).

[44] Cf. Barbara Taylor, Eve and the New Jérusalem, London, 1984.

[45] A en juger de l’état actuel des rapports des forces selon lesquels les femmes du Tiers Monde sont intégrées à ce nouveau « système d’information polymorphe » qu’est le marché du travail, il est pour le moins problématique de célébrer comme un progrès la multiplication des familles monoparentales ou des adolescentes qui sont la seule source de survie familiale (dont un grand nombre, comme du reste des millions d’enfants des deux sexes, n’ont ce privilège qu’en se livrant à la prostitution).

[46] Walter Benjamin, « Thèses sur la philosophie de l’histoire », in Poésie et Révolution, Paris, Denoël, 1971, p. 283.

[47] L’expérience historique montre que la construction la plus rigide de la différence biologique des sexes au XIXè siècle a lieu au moment même où la science fournissait les indices d’une similitude fondamentale dans la constitution des hommes et des femmes. Cf. J.-P. Peter, « Les médecins et les femmes », in J.P. Aron, Misérable et glorieuse, la femme au XIXè siècle, Paris, 1980, pp. 78-97.

[48] Cf. D. Haraway, op. cit., p. 193.

[49] Ibid., p. 193 et 195.

[50] On peut regretter la faible prise en considération, dans la théorie féministe en France, des expériences du sexisme par les femmes immigrées, comme on peut être sceptique face à certaines tendances du féminisme américain qui construisent des rapports sociaux d’ordres différents sur un même modèle (par exemple celui du racisme).

[51] Cf. par exemple l’anthologie publiée par Gloria Hull, Patricia Bell Scott et Barbara Smith, avec le titre suggestif : All the women are white, all the blocks are men but some of us are brave, N. York, Feminist Press, 1982.

[52] Cf. Cherrie Morraga, « From a Long Line of Vendidas. Chicanas and Feminism », in Theresa de Lauretis, ed., Feminist Studies/Critical Studies, Indiana University Press 1986.

[53] Theresa de Lauretis, « Eccentric subjects : feminist theory and historical conscicusness », Feminist Studies, 16, 1 (1990).

[54] Donna Haraway, op. cit., pp. 197-198.

[55] Cf. Linda Alcoff, « Cultural Feminism versus poststructuralism : The Idendity Crisis in Feminist Theory », in Signs, 13/3 (1988), Myra Jehlen, « Archimedes and the paradox of feminist criticism », Elisabeth Abel, Emily K. Abel eds, The Signs reader : women, gender and scholarship, Chicago University Press, 1983.

[56] Cf. Joan W. Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique » in Les Cahiers du G. R. I F. (Le genre de l’histoire) 37-38 (1988), et Theresa de Lauretis, op. cit.

[57] D. Haraway, p. 202.

[58] La « déconstruction » du « féminisme blanc » offerte par Angela Davis n’est pas identique avec celle apportée par Cherrie Moraga et Gloria Anzaldua (Mis bridge called my back, Watertown, 1981), et il y a des différences d’analyse considérables entre Bell Hooks, Feminist Theory : from Margin to Center et Barbara Christian, op. cit., et Black feminist criticism, N. York, 1985.

[59] Rey Chow, « Postmodern Automatons », in Judith Butler, Joan W. Scott, Feminists theorize the Political, N. York, 1992, p. 111.

[60] Cf. Marina Lazreg, « Feminism and Difference : The Perils of Writing As a Woman on Women in Algeria », in Feminist Studies, I (1988), June Jordan, « Report from Bahamas », in Moving Towards Home, Political Essays, London, 1989.

[61] Donna Haraway, op. cit., p. 216-217.

[62] Voir la polémique J.R. Searle-Jacques Derrida à ce sujet : Jacques Derrida, Limited Inc., Paris, Galilée, 1990, J.-R. Searle, Pour réitérer les différences. Réponse à Derrida, Paris, col. « tiré à part », 1991, et Déconstruction. Le langage dans tous ses éclats, Paris, col. « tiré à part », 1992.

[63] Cf. Donna Haraway, op. cit., p. 219 : « Être autre, c’est être multiple, sans bornes, effiloché, non substantiel. »

[64] Cf. par exemple le traitement remarquable de ces dilemmes par Alice Walker, dans son personnage de Nettie, missionnaire noire américaine en Afrique, Color Purple, New York, 1982.

[65] Cf. l’article remarquable de Mae Gwendolyn Henderson, « Speaking in Tongues », in J. Butler, J.W. Scott, op. cit., p. 160.

[66] Dona Haraway, op. cit., p. 194.

[67] Ibid. Souligné par moi.

[68] Agnès Heller, « Der Bahnhof als Metapher » in Frankfurter Rundschau, 26 Oktober 1991.

[69] Iris Marion Young, « The Ideal of Community and the Politics of Difference », in Linda Nicholson, op. cit., p. 317.

[70] Christa Wolf, « Nouvelles considérations d’un chat sur la vie », in Trois histoires invraisemblables, Paris, Alinea, 1987.

[71] Ibid., pp. 24-25.

[72] Cf. Aout 1991 : Le gai renoncement , Supplément de Futur Antérieur, L’Harmattan, 1991.

[73] Theodor Adomo, Modèles Critiques, Payot, 1984, p. 164-165, Dialectique Négative, Payot, 1978, p. 51.

[74] Cf. le débat entre Seyla Benhabib, « Feminism and Postmodernism : an uneasy alliance », Judith Butler, « Contingent Foundations : Feminism and the question of "Postmodernism" », et Nancy Fraser, « False Antithesis. A response to Seyla Benhabib and Judith Butler, in Praxis International, 11/2 (1991).

[75] Cf. Sigrid Weigel, « Double focus. On the history of women’s writing », in G. Ecker, Feminisi Aesthetics, p. 65.

[76] Voir à ce sujet la critique de Linda Alcoff, op. cit., p. 429-430 et notamment sa distinction entre une certaine tradition de la métaphysique qui renvoie à une conception ontologique de la vérité et l’effort de raisonner sur des questions ontologiques qui ne peuvent pas être décidées empiriquement.

[77] Theodor W. Adorno, Modèles critiques, Paris, Payot, 1984, p. 164
Ecrit par post-Ô-porno, le Jeudi 17 Novembre 2005, 20:53 dans la rubrique "Textes ".
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