*Genre, sexe, terminologie...
Genre, sexe, terminologie...
Genre (gender in english). Pourquoi "genre" et pas tout simplement "sexe" pour parler de domination de "genre" ? Parce que la différence des sexes est insuffisante, elle s'est construite historiquement, en s'appuyant sur l'opposition « naturelle » des sexes, supposée être inscrite dans le biologique et justifiant alors des rapports sociaux de domination. On appelle donc le sexe social : le genre.
Le genre et le sexe biologique sont des constructions sociales élaborées notamment par les sciences (en histoire, sciences politiques, sociologie, ethnologie, anthropologie, médecine,,psychanalyse, biologie). Le teme de genre porte en lui la notion de rapport de domination, et permet de décrire toutes les formes de domination inhérentes à la catégorisation "naturalisante" des individu-e-s (homme/femme, masculin/féminin, hétéro/homo...). Le vocable genre permet également de parler de "trangenre" et non plus de travesti-e-s, hermaphrodites, intersexué-e-s, transexuel-le-s...
(une interview de Judith Butler, lue dans l'Express se situe en fin de page)
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--->>>Le mot pour le dire (ou quand
l'Express découvre le genre)
Le mot s'immisce depuis peu dans le langage courant, dans les colloques et dans les cénacles politiques. A la veille du référendum sur la Constitution européenne, le groupe des «femmes socialistes pour le oui», emmené par Elisabeth Guigou, a même expressément utilisé le terme «genre» dans son compte rendu. Une vogue qui n'est pas du goût de la Commission générale de terminologie et de néologie, laquelle, dans un récent avis, condamne cet «usage abusif» du substantif, préconisant l'emploi de «sexe» ou «sexiste». (
Voir plus bas)
De quoi parlons-nous, au juste? Le mot «genre», du latin genus, generis, renvoie à l'engendrement, donc à la biologie et à la nature. Le français l'utilise sur le plan grammatical afin de distinguer le féminin du masculin. L'anglais, lui, l'a élargi depuis longtemps dans l'usage quotidien à sa dimension sociale: les rôles respectifs des femmes et des hommes dans tous les aspects de l'existence. Ce sont d'ailleurs les féministes anglo-saxonnes qui ont commencé à utiliser le terme comme outil de recherche dans les années 1970 avec les women's studies, les études sur les femmes. Leur but: souligner la différence entre sexe biologique et sexe social. Avec, in fine, la ferme intention de porter le coup de grâce à l' «idéologie naturalisante» qui présente la différence des sexes comme une donnée naturelle et inaltérable. Sous l'influence du marxisme, du structuralisme, de la psychanalyse ainsi que des travaux de Michel Foucault sur la sexualité et des études gays à la fin des années 1980, les women's studies s'étendent aux gender studies. Les hommes sont intégrés au champ d'analyse, sous l'angle des rapports qu'ils entretiennent avec l'autre sexe.
En France, l'université se méfie de ces chercheurs et surtout chercheuses au militantisme affiché, qu'elle soupçonne de vouloir défendre une version communautariste de la différence sexuelle. La greffe finit par prendre dans les années 1990, avec l'explosion médiatique des sciences sociales, qui commencent à analyser le champ du travail sous l'angle féminin. Aujourd'hui, de nombreuses chercheuses du CNRS se sont spécialisées dans les études de genre, qui font par ailleurs l'objet de modules universitaires. Mais des blocages persistent, assurent les intéressés. «Il y a toujours très peu d'affichage de postes sur ces sujets, considérés comme peu nobles ou de parti pris, déplore Delphine Gardey, auteure avec Ilana Löwy de L'Invention du naturel (Archives contemporaines). On nous reproche de faire de la politique, mais de quelle neutralité nous parle-t-on? Les femmes ne représentent que 16% des profs d'université!»
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--->>> Quand l'État se mêle de féminisme, paru au
Bulletin Officiel de l'Éducation Nationale
COMMISSION GÉNÉRALE DE TERMINOLOGIE ET DE NÉOLOGIE
Recommandation sur les équivalents français du mot “gender”
NOR : CTNX0508542X
RLR : 104-7
RECOMMANDATION DU 22-7-2005 JO DU 22-7-2005
MCC
L’utilisation croissante du mot “genre” dans les médias et même les documents administratifs, lorsqu’il est question de l’égalité entre les hommes et les femmes, appelle une mise au point sur le plan terminologique.
On constate en effet, notamment dans les ouvrages et articles de sociologie, un usage abusif du mot “genre”, emprunté à l’anglais “gender”, utilisé notamment en composition dans des expressions telles “gender awareness, gender bias, gender disparities, gender studies...,” toutes notions relatives à l’analyse des comportements sexistes et à la promotion du droit des femmes. Le sens en est très large, et selon l’UNESCO, “se réfère aux différences et aux relations sociales entre les hommes et les femmes” et “comprend toujours la dynamique de l’appartenance ethnique et de la classe sociale”. Il semble délicat de vouloir englober en un seul terme des notions aussi vastes.
En anglais, l’emploi de “gender” dans ces expressions constitue un néologisme et correspond à une extension de sens du mot qui signifie “genre grammatical”. De plus, ce terme est souvent employé pour désigner exclusivement les femmes ou fait référence à une distinction selon le seul sexe biologique.
Or, en français, le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s’avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose.
La substitution de “genre” à sexe ne répond donc pas à un besoin linguistique et l’extension de sens du mot “genre” ne se justifie pas en français. Dans cette acception particulière, des expressions utilisant les mots “genre” et a fortiori l’adjectif “genré”, ou encore le terme “sexospécificité”, sont à déconseiller.
Toutefois, pour rendre la construction adjective du mot “gende”, fréquente en anglais, on pourra préférer, suivant le contexte, des locutions telles que hommes et femmes, masculin et féminin ; ainsi on traduira “gender equality” par égalité entre hommes et femmes, ou encore égalité entre les sexes.
La Commission générale de terminologie et de néologie recommande, plutôt que de retenir une formulation unique, souvent peu intelligible, d’apporter des solutions au cas par cas, en privilégiant la clarté et la précision et en faisant appel aux ressources lexicales existantes.
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Et pour mieux comprendre: une interview de J. Butler ( au moment de la sortie de la traduction française de Trouble dans le genre/Gender trouble. (voir la rubrique
LIVRE):
L'Express du 06/06/2005 (
lien ici)
Judith Butler
«Nous ne sommes pas sexuellement déterminés»
propos recueillis par Dominique Simonnet
S'il est vrai que l'université de Californie à Berkeley, berceau de la contre-culture, est toujours le laboratoire de nos comportements futurs, alors le temps du flou est arrivé: les années à venir seront queer (traduction libre: sexuellement flottantes). D'ailleurs, sur le campus, les individus au sexe non identifié ne font pas jaser. Judith Butler est passée par là. Il y a quinze ans, la philosophe bouleversait les sciences sociales en déclarant que les «genres», comme on dit aux Etats-Unis, ne seraient pas déterminés: on ne naît pas femme (ni homme), et on ne le devient pas non plus tout à fait. Dans son bureau de la Doe Library, cette intellectuelle brillante, qui n'a rien d'une fanatique, revient sur son livre clef tout juste traduit en français (Trouble dans le genre, la Découverte. Lire aussi Humain, inhumain, éd. Amsterdam) et plaide pour une nouvelle tolérance
<> Dans votre livre Trouble dans le genre, qui a causé une petite révolution intellectuelle aux Etats-Unis, vous faites voler en éclats ce qui semblait jusque-là une évidence: dans l'espèce humaine, les individus de sexe «mâle» sont masculins, les personnes de sexe «femelle» sont féminines… Selon vous, le «genre», comme on dit ici en Amérique, serait une donnée beaucoup plus floue.
«Il faut questionner ce qui semble évident», comme disait Althusser. Il y a une difficulté particulière en France à admettre cette réflexion en raison même du vocabulaire. En français, vous ne disposez que d'un seul mot, «sexe», pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale: quand vous parlez de «différence des sexes», vous considérez qu'il s'agit d'une donnée naturelle et universelle, vous mélangez la biologie et la culture. Aux Etats-Unis, nous faisons la distinction, et nous employons le mot gender (genre) pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun [la masculinité et la féminité]. Celui-ci peut ne pas correspondre au sexe de la personne (mâle ou femelle). Cette distinction entre sexe et genre est une spécificité importante de la sociologie américaine, mais aussi de l'anthropologie féministe: si on naît female (de sexe féminin), cela n'implique pas une destinée sociale de femme. Celle-ci résulte d'une acquisition progressive. «On ne naît pas femme, on le devient», écrivait justement Simone de Beauvoir.
<> «Féminité et masculinité ne sont pas des normes auxquelles nous sommes obligés de nous conformer»
Pour vous, la masculinité et la féminité seraient avant tout une construction sociale, c'est cela?
Beaucoup de jeunes garçons, en grandissant, trouvent très difficile d'assumer pleinement le genre masculin, ils ne savent pas ce que cela signifie vraiment, ni comment y parvenir. Beaucoup de jeunes filles se sentent aussi l'obligation culturelle de devenir des femmes sans savoir précisément de quoi il s'agit. Pour tous, l'idée prévaut que le genre - masculin ou féminin - est «quelque chose» auquel il est nécessaire d'accéder en maîtrisant des savoirs, des rituels, des comportements, une manière de parler, un mode de relation avec les autres… Cette quête est source d'anxiété: on a peur de ne pas atteindre ce but ou d'adopter des conduites appartenant à l'autre genre qui provoqueraient alors une exclusion de sa famille ou de son groupe, ou tout au moins un douloureux sentiment de honte. On est angoissé à l'idée de ne pas correspondre à l'idéal de masculinité ou de féminité.
<> Si la masculinité et la féminité ne sont pas fixées par le sexe, pourquoi alors essayons-nous tellement de les faire coïncider avec lui?
Tout nous y oblige. Dès la naissance du bébé, la première question est: garçon ou fille? Si c'est une fille, on l'habille en rose. «En grandissant, lui dit-on, tu deviendras une belle jeune femme, tu auras un bon mari, et un jour tu auras toi aussi des enfants...» Dès le début, nous fixons le scénario. L'école, l'Eglise, la famille le renforcent. L'enfant apprend à percevoir ce qui est acceptable en société.
<> Nous apprenons à jouer un rôle, en somme?
Parlons d'une mise en représentation plutôt que d'un rôle. Car nous ne sommes pas des acteurs volontaires dans cette histoire, nous n'avons pas vraiment la liberté de jouer ou non un personnage. Nous sommes obligés de nous conformer à la norme, masculine ou féminine, pour obtenir une identité reconnue par les autres, pour agir, pour penser, bref pour faire partie des humains. Ensuite, il nous reste une marge de manœuvre, une capacité d'agir dans le cadre de cette contrainte, en incarnant les caractéristiques de la norme ou en jouant avec elles. Mais cette norme varie selon l'histoire et les cultures. Un des buts de Trouble dans le genre est justement de se demander comment nous pourrions reformuler chaque genre, donner à «masculin» un sens que ce terme n'avait jamais eu auparavant, ou inclure dans «féminin» des éléments qui lui étaient étrangers. Je ne pense pas pour autant qu'il existe une identité androgyne ni même une continuité entre le masculin et le féminin. Je crois plutôt à une juxtaposition du féminin et du masculin dans différentes combinaisons qui ne permettent pas de dire d'un individu s'il est «masculin» ou «féminin». Par exemple, on peut trouver des hommes très virils, «militaires» dans leurs manières, qui sont néanmoins gays, passifs sexuellement, et développent toutes sortes de goûts qui ne font pas partie de la norme masculine.
<> C'est effectivement le trouble dans le genre. Ce flou s'applique en premier lieu au comportement sexuel. Il n'y aurait pas, selon vous, de déterminisme qui ferait que les femmes soient attirées par les hommes et vice versa?
Non! Le monde serait beaucoup plus simple si c'était le cas! Même les hétérosexuels les plus enracinés dans leur genre ne font pas l'expérience du désir comme d'une chose «naturellement» déterminée. Sinon, nous ne passerions pas autant de temps à nous demander si nous éprouvons du désir ou non, qui nous désirons, si ce désir va durer. Le désir, c'est précisément ce qui perturbe tous les déterminismes!
<> Mais il y a la biologie quand même! On sait que certaines hormones, comme la testostérone pour les mâles, jouent un rôle dans le désir, et que les animaux ont des orientations sexuelles très marquées qui ne leur ont pas été inculquées culturellement.
Je n'ai jamais prétendu qu'il n'y avait pas de différences biologiques. Mais quel rôle leur assignons-nous? Quelle est la relation entre biologie et culture? Un corps de garçon est-il vraiment programmé pour la vie à avoir des rapports sexuels avec des filles? Est-ce une donnée naturelle, déterminée? Ou pourrait-il être attiré par des hommes? Je suis sûre que beaucoup d'homosexuels sont stimulés par la testostérone et que cette hormone ne garantit pas l'hétérosexualité! La culture et la biologie interagissent en fait de manière complexe.
<> Il existe quand même, dans l'espèce humaine, des comportements très sexués. Ce sont plutôt les Homo sapiens mâles qui font la guerre, violent, pénètrent les territoires et les corps. Rarement les femmes.
Seriez-vous plus féministe que moi? Pensez à Margaret Thatcher, qui était un faucon, ou à Condoleezza Rice, artisan de la guerre d'Irak: dirions-nous qu'elles sont masculines? Et Lynndie England, cette femme qui s'est illustrée en torturant les prisonniers d'Abou Ghraib? Nous avons tendance à penser qu'il s'agit là d'une perversion du genre féminin, car nous entretenons l'idée que les femmes sont généreuses, bonnes, aimantes, pacifiques, alors que les hommes sont agressifs et prompts à faire la guerre. Je crois plutôt qu'il existe aussi de l'agressivité chez les femmes. Et que dire des hommes pacifistes? Dirions-nous que Gandhi était féminin car il n'était pas belliqueux? Non, je pense qu'il reformulait son genre, en manifestant sa force par la résistance morale. Il s'agit certainement là d'une configuration de la masculinité différente de celle de George W. Bush.
<> Ne pensez-vous pas que le fait de porter un enfant induit certains comportements que je n'ose plus appeler «féminins»?
Porter un enfant peut susciter un attachement intense de la mère. Les femmes qui l'éprouvent deviennent sûrement plus compatissantes, plus généreuses, plus sensibles à la fragilité de la vie. Mais il serait optimiste, et simpliste, de dire que c'est toujours le cas. Il existe aussi des mères qui battent leurs enfants ou les abandonnent à la naissance, des femmes enceintes par ailleurs très aimantes qui décident d'avorter... Nous voulons toujours nous abriter derrière des généralités, mais, chaque fois que nous pensons en tenir une, surgit un groupe d'individus qui n'en fait pas partie. Demandons-nous plutôt si la réalité n'est pas plus complexe que nous aimons le penser, et pourquoi nous tenons à nous accrocher à des normes. A qui profitent-elles? A qui font-elles du mal? Un grand nombre de gens en ressentent la violence et en souffrent. Une athlète femme, par exemple, est souvent accusée de ne pas être «féminine» parce qu'elle développe sa force et ses muscles. En fait, elle tente elle aussi d'accomplir quelque chose de nouveau avec son genre.
<> Si nous étions dégagés de ces normes sociales, les homosexuels seraient alors aussi nombreux que les hétérosexuels, ou serions-nous tous bisexuels?
Je ne crois pas qu'il nous soit possible de nous dégager vraiment des normes. Nous sommes tous profondément structurés, mais pas déterminés - c'est la distinction que je m'efforce de faire. Pour ma part, j'ai accepté mon homosexualité, mais je ne l'ai pas choisie comme une option parmi d'autres. C'est l'homosexualité qui m'a choisie. Mais la sexualité n'est pas inscrite dans notre moi profond. Elle naît de l'expérience, de nos relations avec les autres, sous l'influence de mécanismes psychiques complexes. Il me semble que, aujourd'hui, un nombre croissant de gens sont prêts à admettre que leur identité n'est pas aussi simple et définitive qu'ils le croyaient. On voit des femmes hétéros s'enflammer pour d'autres femmes, des hommes hétéros pour d'autres hommes, des homosexuels tomber soudain amoureux de quelqu'un de l'autre genre… Se demander s'ils sont homosexuels, hétérosexuels ou bisexuels n'a guère de sens.
<> «Toutes les formes de parenté sont légitimes, dès lors que l'enfant est bien soigné, éduqué et aimé»
Puis-je vous demander d'où vous viennent vos réflexions?
A l'âge de 14 ans, en 1970, dans la banlieue de Cleveland où j'habitais, une fille m'a embrassée, à moins que ce ne soit l'inverse. Ce fut un moment très heureux. Je savais que cela portait un nom, mais lequel? Plus tard, je m'en suis soudain souvenue: lesbienne! J'ai alors vu l'image d'une femme affreuse, et j'ai été instantanément frappée de peur et de honte. Voilà ce que j'allais devenir: une lesbienne! J'en ai beaucoup souffert, jusqu'à ce que je rencontre des personnes et des groupes qui m'ont permis de réfléchir autrement. Maintenant, ce mot n'est plus porteur de honte pour moi, mais je sais qu'il en va autrement pour beaucoup de gens. Je me souviens aussi qu'étudiante j'ai vu, dans un bar gay, un drag queen. C'était un homme, très beau, qui jouait une femme, et je me disais: je serais incapable de jouer la féminité aussi bien que lui! C'est ce qui m'a suggéré que beaucoup de manifestations du genre s'apparentent à un spectacle. Mais cet homme était potentiellement l'objet d'une violence sociale. De mon côté, j'étais exposée à la même violence parce que je ne pouvais pas interpréter la féminité aussi bien que lui. Qu'on en termine avec cette violence exercée contre ceux qui ne se conforment pas aux attentes du genre, voilà ce que je souhaite aujourd'hui.
<> L'idée que les genres sont aussi troubles que vous le dites est bien loin d'être admise. La psychanalyse et une grande partie de la psychologie s'y opposent. En France, la plupart des psys répètent par exemple qu'un enfant a besoin, pour se développer, d'un père et d'une mère, de deux pôles masculin et féminin bien définis.
Sinon, tout le monde deviendra psychotique, hein! [Elle rit.] Pour cette raison, on refuse aux homosexuels le droit d'adopter et l'accès aux techniques reproductives. Certains prétendent même qu'il est impossible de penser la culture humaine sans ces deux pôles! Continuons à questionner les pseudo-évidences. Soutenir un tel point de vue, c'est considérer que la norme sociale, certes dominante, mais contingente, est une vérité éternelle. Or elle n'est qu'une croyance qui ne correspond pas à la réalité. Affirmer qu'un enfant souffrira nécessairement de ne pas avoir de mère ou de père est une insulte à toutes les familles recomposées et à tous ceux, mères ou pères, qui élèvent seuls leurs enfants. Je connais peut-être 300 enfants vivant avec des parents homosexuels, rien que dans le nord de la Californie, et ils se portent très bien!
<> En France, les juges imposent eux aussi le maintien du «couple parental» bien au-delà du divorce et quelle que soit la situation de l'enfant.
Qui défendent-ils en réalité? L'enfant ou l'institution du couple hétérosexuel? S'ils reconnaissaient que l'enfant peut s'épanouir dans une famille recomposée ou avec des parents homosexuels, alors l'hétérosexualité perdrait sa mission naturelle et sacrée, elle deviendrait une forme de sexualité parmi d'autres. Et c'est ce qu'ils redoutent. Aujourd'hui, en France, le taux de «démariage» est énorme et un grand nombre d'enfants vivent dans des familles monoparentales, preuve qu'il existe déjà une énorme différence entre, d'un côté, les croyances symboliques et les lois et, de l'autre, le vrai mode de vie des gens. Je crois que toutes les formes de parenté sont légitimes, dès lors que l'enfant est bien soigné, éduqué et aimé.
<> La question est posée avec une grande violence aux Etats-Unis par la droite religieuse, qui se pose en défenseur de la «culture de la vie» et du couple naturel.
Ils veulent croire qu'il existe une loi divine se manifestant dans la division entre les sexes et que l'institution sociale du mariage doit s'y conformer. Pour eux, le mariage gay doit être banni puisqu'il n'est pas naturel (notons que, si on parle de sélection naturelle et de la théorie de l'évolution, alors, soudain, il n'est plus question d'invoquer la nature, car celle-ci s'oppose à la loi divine!). Cela dit, aux Etats-Unis, nombre de chrétiens sont progressistes et ne veulent pas de cette intransigeance. La gauche ferait mieux de leur tendre la main plutôt que d'accuser en bloc la religion de conservatisme.
<> La «déconstruction» du genre que vous poursuivez, dans une logique post-structuraliste, suggère de repenser un féminisme qui ne serait pas fondé sur «l'identité féminine».
Oui. Nous avons été plusieurs à utiliser le post-structuralisme pour nous opposer aux politiques identitaires. Toutes les expériences humaines ne peuvent être réduites à notre seul statut de femme, d'autant que cette identité est floue et instable. Je suis toujours très féministe, mais je suppose que je suis aussi queer [bizarre, étrange], puisque c'est ainsi qu'on m'a appelée. Cela me convient. Autrefois, queer était la pire des insultes pour fustiger les gays. Ceux-ci ont récupéré ce mot pour le vider de son sens infamant. La théorie queer est une forme de subversion qui analyse les divers processus à travers lesquels notre genre et notre sexualité nous sont imposés. Elle défend l'idée que l'homosexualité et l'hétérosexualité ne sont peut-être pas si différentes, que les deux peuvent se croiser et qu'une certaine diversité devrait être reconnue et pensée. J'aimerais vivre dans un monde où il y ait moins de honte, où les gens seraient moins enclins à coller une étiquette sur les autres, et où chacun serait respecté et libre de vivre sa propre complexité.
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