Handicap, obscur objet de désir…
-> Une info lue sur: www.360.ch
Film-ovni, Devotee s’attache
au désir que suscitent chez certains les corps hors norme. Un manifeste
dérangeant et passionnant, qui renverse les perspectives sur la sexualité et le
handicap.
par Arnaud Gallay
Le visage d'un homme, les yeux clos, en gros plan.
Lentement, un membre s'approche de sa bouche. Ce n’est pas une main, ce n’est
pas un sexe… Alors qu’il se réveille, la caméra dévoile dans toute sa nudité
quatre membres sans extrémités. Cette première scène qui met le
spectateur à l’épreuve, est à l’image de
Devotee: à la fois distancié et frontal, quotidien et hors norme. Des plans que
le réalisateur Rémi Lange a voulus pour «se débarrasser de cette attente
malsaine, et à la fois normale, du spectateur.» Passé ce préambule, on entre
dans l’intimité d’Hervé, entre Paris et un petit village isolé où il vit.
Jusqu’à sa rencontre sur le tchat avec Guillaume (Guillaume Quashie-Vauclin),
beau jeune homme fasciné par les membres amputés – un «devotee», selon le terme
consacré (voir encadré).
Dissymétrie
Président d’une
association de gays vivant avec un handicap* Hervé Chenais s’est improvisé
comédien à la suite d’une rencontre fortuite avec Rémi Lange. Pour lui, Devotee
est d’abord un moyen de rappeler l’évidence: Un corps handicapé est un corps
sensuel, ni plus, ni moins. De fait, on lui a posé mille fois la question:
Comment on fait l’amour? comment on caresse? comment on se masturbe, lorsque
l’on n’a pas de mains?… «Je ne m'imagine pas avec des mains. Quand je veux
avoir des sensations, c'est mes moignons que j’utilise, tout simplement»,
explique-t-il sans fausse pudeur.
En tant que co-scénariste, Hervé a tenu à
raconter sa recherche d’affection et de sexualité – une recherche au cours de
laquelle il a croisé des «devotees». En riant, il les compare à des gourmands
bousculant les clients d’une pâtisserie pour s’emparer de la dernière pièce…
comme celui qui avait demandé à Hervé l’aéroport le plus proche pour son jet
privé «…mais finalement ça ne s’est pas fait!» Pendant quelques temps, une
relation s’était instaurée avec un autre devotee. «Lui y trouvais son plaisir,
mais moi, pas le mien.» Dans le film, cette dissymétrie du désir s’exprime dans
une scène charnelle entre Guillaume et Hervé. A l’excitation du premier répond
la frustration du second, qui attend un baiser qui ne viendra pas.
Universalité
Quelque peu boudé par
les festivals français, mais porté par le bouche-à-oreille international, ce
nouveau moyen-métrage de Rémi Lange confirme le culot et l’impertinence du
jeune réalisateur de Omelette et Mes parents.
Mêlant sensualité, drame et humour, Devotee en déroutera plus d’un. Par sa
thématique, mais aussi par certains de ses rebondissements un peu baroques, ou
par l’aspect brut de sa production artisanale – un point assumé par son
réalisateur, pour qui un tel film n’aurait pas pu se faire avec des acteurs
professionnels et une équipe de tournage au complet.
Même imparfait, Devotee frappe par sa
richesse et son audace, plus que par le choc passager provoqué par certaines
images. Car au-delà de la question du handicap, il braque sa caméra sur le
désir. «J’ai cherché à inviter les spectateurs à se poser des questions sur
leur tolérance vis-à-vis de ces corps, mais aussi vis-à-vis de leur propre
désir», explique Rémi Lange.
Devotee «déglingue le formatage», comme le
dit joliment Hervé, en montrant comme désirable un corps radicalement
différent. Mais il pose également la question universelle de la «fétichisation»
de l’autre, de cette tendance croissante à composer «à la carte» son/sa
partenaire idéal-e selon des critères physiques toujours plus pointus. Une
tendance qui fait aussi un peu de nous des «devotees» et nous met au défi de
garder en vue, au-delà du fantasme, l’humanité de chacun.
Devotee, de Rémi Lange - édité par les
Films de Lange:
http://lesfilmsdelange.blogspot.com
Association gay lesbienne handicap
(AGLH):
http://aglh.site.voila.fr
Devotees
et handicapés: je t’aime moi non plus
Terme a priori sulfureux, au parfum de
secret et de perversion, le mot anglais «devotee» aurait été adopté aux
Etats-Unis dès les années 80 par les individus éprouvant une attirance sexuelle
vers les personnes amputées, puis par extension, vers les personnes ayant
certains types de handicap. Des formes de «paraphilies» apparentées ont émergé,
comme celle des «wannabes» (personnes qui aspirent à être amputées) ou des
«pretenders» (qui simulent un handicap). Aujourd’hui, une centaine de webforums
discutant de ce type d’attirance ou de sites érotiques présentant des modèles
(principalement amputés) témoignent de l’existence d’une communauté
d’«admirateurs» considérable, même si leurs pratiques restent particulièrement
mal vues. Et pour cause: le rapport entre une personne handicapée et une personne
valide renvoie encore bien souvent à la notion d’abus – une idée renforcée par
la statut de beaucoup de handicapés, sous tutelle ou curatelle.
Des proies faciles?
Les personnes
handicapées dans le rôle de «proies faciles» et les devotee comme prédateurs?
Paul, animateur de l’un des seuls sites en français «pour les handicapés et
leurs admirateurs», Overground, balaie cette idée: «On oublie souvent que la
personne handicapée voit sa personnalité se renforcer considérablement par le
handicap.» Préférant à «devotee» le terme de «fervent», il précise: «Ce sont
plutôt des personnes attirées sexuellement, mais pas uniquement, par
d'autres personnes en tant que telles. Parce que le handicap
en fait des personnes à leurs yeux ‘extra-spéciales’, beaucoup de fervents
recherchent plutôt une relation durable.»
Gérard, l'un des animateurs du site
participatif français Handigay, relativise: Les «devotees» restent un phénomène
marginal pour les personnes avec un handicap. «Le film Devotee est
beaucoup plus pertinent par rapport au devotee qu’à sa ‘proie’.» Il reconnaît
qu’«une personne amputée peut avoir envie de se faire elle aussi un ‘plan
devotee’ comme on peut être tenté par une soirée SM ou cuir... De là à en faire
une façon exclusive de vivre sa sexualité, il y a un gouffre!» Et de conclure:
«Il y a mille façons de vivre sa sexualité, multipliez-les par les mille façons
de vivre un handicap, qui peut revêtir des milliers d'aspects, et vous
obtiendrez des millions de situations.» A.G.
Plus
d’infos :
> Overground, «pour les handicapés et leurs
admirateurs» www.overground.be
>
Portail gay et lesbien du handicap : www.handigay.com
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