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"Parce que le sexe est politique"

  

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*Il était une fois deux sexes

--> Françoise Héritier
Il était une fois deux sexes



Un article lu sur: lemonde.fr

Cela aurait pu être plus simple. Ou plus compliqué. Nous aurions pu n'en avoir qu'un seul, qui se serait suffi à lui-même. Ou trois, ou quatre. Ou un nombre variant selon les saisons. En mammifères que nous sommes, ce fut deux. Deux sexes. Féminin, masculin. L'un portant les enfants dans son ventre, l'autre lui donnant la semence sans laquelle rien ne pourrait germer. Cela fait des dizaines de millénaires que cela dure, que l'espèce humaine tente de se débrouiller avec cette dichotomie constitutive. Avec cette familière étrangeté. Avec ce semblable différent. D'une différence si essentielle à la vie qu'il a fallu convoquer tous les mythes, toutes les religions, pour tenter de lui donner sens.

Françoise Héritier, professeur honoraire d'anthropologie au Collège de France, fait partie des personnes qui ont le plus réfléchi à cette problématique. Au fil de ses recherches, elle a acquis une conviction : la différence anatomique et physiologique entre l'homme et la femme, apparue comme irréductible dès l'aube de l'humanité pensante, est à l'origine de notre système fondamental de pensée, qui fonctionne sur le principe de la dualité. "Chaud/froid, lourd/léger, actif/passif, haut/bas, fort/faible... Dans le monde entier, les systèmes conceptuels et langagiers sont fondés sur ces associations binaires, qui opposent des caractères concrets ou abstraits et sont toujours marquées du sceau du masculin ou du féminin", affirme-t-elle. Nous penserions peut-être autrement si nous n'étions soumis à cette forme particulière de procréation qu'est la reproduction sexuée.

"Alors Yahvé Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme." Ainsi naît dans la Genèse, bien distincte et dépendante de l'homme, la mère biblique de l'humanité. De la même manière, la mythologie grecque marque nettement le contraste entre masculin et féminin. La conception de l'homme - dans sa version la plus courante - est attribuée à Prométhée, qui le façonne avec de l'argile. Pandora, créée par Héphaïstos, viendra plus tard. Et tous deux, comme Adam et Eve, symboliseront à eux seuls le genre humain.

Ainsi s'établit dans toutes les civilisations fondées sur les religions du Livre un rapport immuable entre le sexe et le genre, selon lequel le sexe impose le genre.

"Dans cette logique, être né anatomiquement mâle nous oblige à jouer le rôle d'un homme, avec tous les attributs de la virilité que la société confère à un homme. Il en va de même, mutatis mutandis, pour les femmes. Et toute transgression de cet ordre sera vue comme un péché dans une optique religieuse, ou comme une pathologie dans une optique médicale", résume Marie-Elisabeth Handman, anthropologue à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Ce n'est que très récemment, rappelle-t-elle, que sont apparues dans les sociétés occidentales, par le biais des mouvements gays, lesbiens ou de la pensée "queer" - qui se situe au-delà des genres -, des perturbations revendiquées de cette dichotomie. Et qu'on a bien voulu se souvenir qu'il existe depuis toujours d'autres sociétés, soutenues par d'autres mythes, dans lesquelles le genre ne va pas de soi.

Le premier à imposer ce constat fut l'anthropologue britannique Edward E. Evans-Pritchard. Avec prudence. "Il avait étudié au Soudan l'ethnie des Azandé, avant et pendant la seconde guerre mondiale. Mais il ne prit le risque de publier ses travaux qu'en 1970, après avoir pris sa retraite. Et encore : dans une revue américaine !", raconte Mme Handman. L'article est resté célèbre. Il relate que les guerriers Azandé, avant la colonisation européenne, avaient pour coutume d'épouser de jeunes garçons jusqu'à ce que la richesse acquise au cours de leurs razzias leur permît d'accéder à une femme. Le jeune garçon, appelé "ma femme" par son mari, rendait à celui-ci tous les services - y compris sexuels - que lui aurait rendus une compagne. Une fois que son mari le quittait pour s'unir à une femme, il pouvait à son tour épouser un jeune garçon, et ainsi de suite.

"Loin d'entraîner la confusion des genres tant redoutée par les missionnaires et les colonisateurs, le rôle social de femme endossé par un jeune garçon renforçait chez les Azandé la distinction entre hommes et femmes, poursuit-elle. A l'instar des éphèbes de la Grèce ancienne, les garçons apprenaient en effet leur rôle de futur guerrier tout en s'initiant à la sexualité. Ce qui contribuait à renforcer la division des sexes et la domination masculine." La pratique inverse s'observe dans plus d'une trentaine d'ethnies africaines, où certaines femmes, pour des raisons de stérilité ou de veuvage, prennent - cette fois de façon pérenne - une jeune épouse dont elles partagent les enfants. Ces femmes sont appelées "pères", jouissent de l'indépendance des hommes et du respect dû à un chef de famille.

L'autre exemple où le genre prend l'avantage relève de ce que l'on appelle le "troisième" sexe social. Ni hommes ni femmes, où les deux à la fois, ceux qui en sont investis sont souvent des chamanes. Ce sont les "two spirit people" : ceux qui ont deux âmes. Ils chevauchent les catégories binaires de sexe comme ils chevauchent la frontière entre le monde réel et l'"autre monde" : celui des esprits, des forces de la nature. Leur statut est parfois transitoire, et peut commencer à différents moments de la vie. Par une révélation chez les Hijra de l'Inde, lors d'initiations chez les Mahu des îles du Pacifique ou chez les "berdaches" amérindiens. Ou encore dès la naissance, comme chez les Inuits.

Dans la tradition de ce peuple du Grand Nord, un ancêtre indique aux futurs parents, par des rêves prémonitoires, qu'il souhaite revivre dans l'enfant à naître. Un garçon peut ainsi être la réincarnation de sa grand-mère, une fille celle de son grand-père. Durant toute son enfance, ce garçon est alors habillé, élevé, considéré comme une fille. Mais à la puberté, il est réintégré dans le genre correspondant à son sexe : il apprend à chasser et à pêcher, puis on le marie, de préférence avec une fille élevée comme un garçon. Bernard Saladin d'Anglure, professeur émérite d'anthropologie à l'université Laval (Québec) et grand spécialiste des Inuits, raconte que dans le village d'Igloolik, dans les années 1970, "environ 15 % des individus avaient ainsi été travestis d'une manière ou d'une autre". Aujourd'hui, ces croyances et coutumes sont en voie de disparition. Mais elles ont toujours cours, affirme-t-il, dans certaines familles.

Quelle que soit la porosité des passages d'un sexe à l'autre, une constante a pourtant traversé tous les millénaires, tous les continents et toutes les sociétés humaines : la domination de l'homme sur la femme. Le matriarcat primitif ? Un mythe, affirment les anthropologues. Mais un mythe universel. Qu'il provienne de peuples africains ou amérindiens, il raconte en effet toujours la même histoire, la même compréhension du monde : à l'aube des temps, les femmes détenaient tous les pouvoirs, domestiques comme politiques. Elles avaient inventé les outils, les armes, les objets rituels. Mais elles s'en servaient mal, de façon dangereuse. Créatives, mais désordonnées. Alors les hommes prirent les choses en main et rétablirent l'équilibre.

Pourquoi une telle constance dans cette hiérarchisation ? De longue date, et plus encore depuis les années 1970 et les conquêtes du féminisme, les études se sont multipliées pour tenter de comprendre comment est née et s'est installée cette inégalité fondamentale. Anthropologues, historiens, sociologues, psychologues, tous y sont allés de leur interprétation. Certaines sont complémentaires, d'autres radicalement opposées. Mais toutes sont contraintes à composer avec cette évidence, cette permanence biologique : ce sont les femmes qui portent les enfants et qui les mettent au monde. Pour avoir la main sur la procréation, les hommes eurent de tous temps besoin de s'approprier leur corps. Donc de les asservir.

Françoise Héritier va plus loin. Le fondement de l'inégalité entre les sexes, dit-elle, ce n'est pas que les femmes font les enfants : c'est qu'elles font des enfants des deux sexes. Qu'elles produisent du même, passe encore... Mais du différent ! Là, pour les hommes, aurait résidé le scandale. Et la parade. Car si les femmes font du différent, c'est que ce différent a été placé en elles... Ainsi, jusqu'au XVIIIe siècle et la découverte des gamètes (ovules et spermatozoïdes), le ventre féminin fut-il pour l'essentiel considéré comme un simple réceptacle destiné à recueillir la semence masculine.

La fameuse "petite graine" ? Tout le monde n'est pas d'accord avec cette conception essentialiste de l'inégalité entre les sexes. Pour certains, ce n'est pas la dichotomie physiologique entre hommes et femmes, mais l'exploitation économique qui fonde les catégories sociales de genre. Cette démarche antinaturaliste, qui affirme la primauté des rapports sociaux, n'explique toutefois pas l'universalité de la domination masculine. Une universalité que seule l'invention de la contraception a permis de rompre, en rendant aux femmes la liberté de leur fécondité. Ouvrant par là même, à l'un et à l'autre sexe, les chemins égalitaires de la séduction.

Catherine Vincent

A LIRE:
  • "Masculin/Féminin". Tome 1 : "La pensée de la différence" ; tome 2 : "Dissoudre la hiérarchie", de Françoise Héritier, éd. Odile Jacob, 1996 et 2002.
  • "Hommes, femmes, la construction de la différence", sous la direction de Françoise Héritier, éd. Le Pommier, 2005.
  • "Féminin/Masculin. Mythes et idéologies", sous la direction de Catherine Vidal. Belin, 2006.
Ecrit par post-Ô-porno, le Mardi 4 Août 2009, 04:34 dans la rubrique "Sources".
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Commentaires :

  AliceInWorryLand
04-08-09
à 11:01

trés intéressant !
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