Pompe à fric pour les uns, pur
objet de consommation pour les autres, le porno a bien souvent du mal à
sortir de son complexe d’infériorité par rapport au cinéma traditionnel.
La preuve en est avec quelques tentatives de transversalités plus ou
moins réussies initiées qui plus est par des cinéastes « traditionnels »
(Lars Von Trier, Paul Vecchiali, Catherine Breillat, Virginie
Despentes, Bruce La Bruce) ; ou encore avec les quelques tentatives de
reconversion d’acteurs (Rocco Siffredi, Ovidie, François Sagat) dans des
films ayant souvent le porno comme sujet. Il reste que, de tous ceux
qui ont des velléités d’auteur, HPG (pour Hervé-Pierre Gustave) reste le
plus légitime. D’une part car il est l’un des rares réalisateurs de X a
avoir eu les honneurs d’une rétrospective à la Cinémathèque, d’autre
part car ses œuvres plus traditionnelles comme On ne devrait pas exister,
autofiction où il se met à nu au sens propre comme au figuré, montrent
une réelle faculté à penser le genre... et à se mettre en scène tout
simplement. Alors que l’on attend pour le courant de l’année son film
avec Rachida Brakni et Éric Cantona, HPG joue les trublions du septième
art en nous ouvrant un peu plus les portes de « son vit, son œuvre ».
Personnage jusqu’au bout, HPG aime se regarder filmer. Sur les centaines
de scènes hétéro ou gay tournées (souvent en mêlant des acteurs pros et
amateurs), il a toujours posé une petite caméra qui vient capturer le work in progress.
Il en résulte des heures de rushs qu’il a confiées au réalisateur
Raphaël Siboni (issu de l’art contemporain) pour en tirer ce montage,
sorte de version longue de Point of View, leur
précédente collaboration. Laissant les scènes se dérouler en plan fixe,
Siboni fait parler les images d’elles-mêmes, dans toute leur longueur et
leur singularité. De cette rencontre entre deux extrêmes (le X et le
cinéma arty), il naît alors, forcément, quelque chose de tout aussi
extrême : un mélange entre Le Journal du hard, Secret Story et un documentaire de Wiseman passé aux rayons X.
Avec son titre en anti-phrase qui fait la nique à Lacan, Il n’y a pas de rapport sexuel
annonce déjà la débandade. Alors oui, pendant près d’une heure et
demie, on y voit beaucoup de cul. Mais bizarrement, rien de vraiment
excitant. Rapidement démystifié, le genre se montre pour ce qu’il est,
un reliquat de cinéma primitif (au sens étymologique du terme) où les
corps à corps si chauds à l’écran tiennent avant tout du fake,
où les effets spéciaux à base de lait concentré doivent tout aux
recettes de grand-mère. À ceux qui idéaliseraient le porno, ces images
risquent donc fort de couper court à toute illusion. Les lois du
tournage, ce sont des moments d’attente et d’ennui, des « performances »
demandées au bon moment, des contraintes de cadrage lors d’un tournage
en extérieur ou encore des plans qu’il faut tourner coûte que coûte même
si les acteurs montrent des marques évidentes d’épuisement.
Cette juxtaposition à nu d’images de tournage, sans
aucun commentaire, aurait très bien pu tourner à vide. Heureusement, là
où Raphaël Siboni parvient à instaurer un point de vue, c’est dans le
parti pris de choisir des scènes décalées, qui ne répondent pas toujours
aux fantasmes que l’on se fait du genre. Anticipant aussi la gêne
inhérente à l’étalage d’images pornos, il privilégie la cocasserie,
celle qui offre au spectateur le meilleur des refuges : le rire. Parmi
les moments emblématiques du film, on y voit, par exemple, HPG inventer
sur le vif, mais avec beaucoup de vigueur, un pitch digne d’un sitcom
AB, essayer d’expliquer à une cougar comment mimer une fellation pour un
shooting photo et débattre avec un acteur débutant en quoi être un pro
du X pourra l’aider à lever les filles. Dans Il n’y a pas de rapport sexuel,
tout est question de décentrage donc, de détournement consenti. De
fait, même HPG n’est pas épargné. Auteur, personnage à part entière
(dans un autre registre on pense au Lagerfeld de
Rodolphe Marconi), sa flamboyance mesurée peut vite être rattrapée par
le malaise qu’il suscite quand il donne l’impression de se servir des
errances de ses acteurs. Du cynisme, il y en a certainement. Mais c’est
pour mieux rappeler aussi que l’homme est pro avant d’être dans
l’affect. Prolixe et reconnu par la profession, son porno à lui répond,
comme pour toute industrie audiovisuelle, à des règles d’efficacité et
de rentabilité. Et comme sur n’importe quel tournage, the show must go on reste le crédo essentiel.
Nicolas Maille