* Instrumentalisation du Black feminism par un White feminism qui ne dit pas son nom
Instrumentalisation du Black feminism par un White feminism qui ne dit pas son nom
-> Un article lu sur : Kronik d'un nègre inverti
Aujourd’hui, je voulais parler d’un phénomène que j’ai constaté sur
une mailing list sur laquelle je suis inscris. Il est question de
s’échanger des infos sur le genre et la sexualité. Sur cette liste, il
n’y a pas de préférence pour un type de féminisme. C’est à dire qu’on
peut y voir toutes sortes d’infos : textes abolitionnistes/ textes pro
sexe, textes laïcards/textes sur les féminismes islamiques etc, ce qui
n’est pas sans provoquer des remous entre les abonnéEs.
Plusieurs fois, j’ai constaté que des gens qui ont une approche du
féminisme plutôt laïcarde, et qui se sont déjà exprimés plus ou moins
habilement sur le fait que l’antiracisme ou les questions trans sont là
pour « diviser » le féminisme, font parfois mention du Black feminism,
directement ou indirectement, dans un but totalement opportuniste. Je
m’explique, si on prend l’objectif du Black feminism qui est de mettre
en lumière les intersections entre sexe, race, classe et sexualité, on
pourrait fortement critiquer 90% du contenu que postent les gens
auxquels je fais référence.
Quelle a donc été la raison de leur utilisation du Black feminism ?
Une prise de conscience du racisme comme un vrai rapport social à
articuler dans leur lutte contre le sexisme ? Non. Une simple volonté,
même sans grande réflexion antiraciste, de faire partager des analyses
qui sont autres que celles du féminisme hégémonique ? Non. Un moyen de
parler de rapports de classe, autrement qu’en le faisant à partir des
classes populaires blanches, mais en prenant les réflexions féministes
sur les classes populaires noires aux Etats-Unis ? Encore une fois, non.
La raison, je vous le donne en mille, est celle-là : mener à bien leur agenda abolitionniste et anti porno.
Oui oui, vous m’avez bien lu. L’usage du Black feminism et l’allusion
aux privilèges blancs et bourgeois de certaines femmes n’avaient
aucunement pour fonction de faire réfléchir aux rapports de classe et de
race dans leur manière d’affecter les conditions de vie des femmes. Non
non, il s’agissait de dire en gros ceci :
- « Les Slut Walk c’est mal, la preuve les Black feminist sont contre »
- « Le porno c’est mal, la preuve celles qui en parlent sont blanches et bourgeoises »
- « La prostitution c’est mal, la preuve celles qui aiment ça sont blanches et bourgeoises »
Vraiment, chapeau bas ! En terme de manipulation et d’instrumentalisation d’un féminisme antiraciste, c’est plutôt bien trouvé !
Mais disons ceci :
- Utiliser les Black feminist pour dire que les Slutwalk c’est mal,
c’est un peu fort de café, car si en effet les Black feminist ont pris position sur les slutwalk,
notamment pour faire réfléchir aux implications du terme « slut » qui
n’est une insulte que pour les femmes pensées au départ comme pures, ce
qui n’est pas le cas des femmes noires dans l’imaginaire Etats-Unien, je
ne suis pas sûr que ça tende à remettre en cause la PREMIERE SLUTWALK
(parce que les gens oublient souvent que c’est pas un truc arrivé au
hasard ) qui était une réponse à un connard de flic à Toronto qui avait
dit que si les femmes ne s’habillaient pas comme des « Slut » elles
n’auraient pas été violées. Bref, l’occasion saisie par les Black
feminist pour faire réfléchir aux implications raciales implicites du
terme slut, au manque d’ouverture des organisatrices aux questions
raciales, n’a pas à être utilisée par des gens pour qui l’antiracisme
constitue habituellement une diversion. Car, vous ce n’est pas pour
parler du statut particulier réservé aux femmes noires et immigrées
violées aux Etats-Unis que vous vous opposez aux Slut Walk, mais c’est
d’abord parce que tout ce qui est vulgaire et qui renvoie à la nudité
des femmes (ou à l’inverse lorsqu’elles cachent tout), même lorsque ça
vient d’elles, vous semble mauvais, et ne correspond pas à votre vision
de l’émancipation. Et ici, il ne s’agit pas de discuter de la non
pertinence de votre vision de l’émancipation, mais plutôt de vous dire
de l’assumez au lieu de vous cacher derrière les Black feminist dont
vous vous fichez !
- Pensiez-vous que le porno résisterait aux rapports de race et de
classe ? Est-ce seulement dans le porno que ce sont d’abord des blanches
bourgeoises qui s’expriment ? En plus c’est faux ! Il suffit de voir
qui est dans le porno queer pour voir que ces films de cul constituent
un plus grand lieu d ‘expression pour certains queers of color que ce
n’est le cas dans des réunions féministes toutes gentilles ou personnes
ne se lêchent, mais où il ne fait pas bon d’être une antiraciste
radicale. Faut vraiment être d’une malhonnêteté intellectuelle inouïe
pour dire que la preuve de l’erreur qu’il y aurait à suivre les courants
féministes pro sexe résiderait dans le fait que les figures principales
sont blanches, dans la mesure où, corrigez-moi si je me trompe, mais il
me semble que Catherine MacKinnon et Andrea Dworkin, grandes prêtresses
abolitionnistes et anti pornos, ne sont pas ce qu’on peut appeler des
femmes noires, ni latinas, ni arabes, bref, elles sont blanches.
Autrement dit, les courants anti pornos, ne sont-ils pas aussi
dominés par des blanches bourgeoises ? Du coup, en quoi la présence de
blanches bourgeoises discréditerait-elle le porno queer ? En quoi Gayle
Rubin, soit l’équivalent de Satan pour les abos, serait-elle plus
blanche que MacKinnon & co ? Par ailleurs, connaissez-vous une série
de textes Black feminist ou Queer of Color anti porno ?
- Alors là, sur la prostitution, c’est atteindre le comble de
l’immoralité politique. Quand on voit les effets désastreux des
politiques abolitionnistes sur les prostituées étrangères, et donc très
souvent non blanches, les prétextes qu’elles servent pour durcir les
politiques d’immigration, le harcèlement policier dont elles font
l’objet dans des quartiers à Paris comme Belleville où elles sont très
majoritairement asiatiques, et à Strasbourg Saint Denis où elles sont
noires et arabes, je me dis que vraiment, les abolitionnistes ne
manquent pas d’air ! Sincèrement, avez-vous vu, lu, ou entendu des Black
feminist applaudir les positions abolitionnistes, et cautionner la
chasse aux putes étrangères ?
Vraiment, tout ceci provoque chez moi un grand écoeurement. Voilà la
vraie vulgarité à combattre. Ceci dit, ça démontre quelque chose : les
questions raciales sont à la mode, pas à l’étude. Du coup, elles servent
de certificat de radicalité, lorsqu’il faut passer en force sur un
sujet.
Ils n’en ont rien à foutre de l’antiracisme, des femmes non blanches
et des rapports de classe défavorables dont elles font majoritairement
l’objet. Ils se contrefichent de savoir si leur prise de parole et la
circulation de leurs idées ne sont pas liées aux privilèges sociaux dont
ils disposent. Enfin, ils sont à milles lieux de se penser en tant que
blancs, et de penser leurs héroïnes comme MacKinnon en tant que
blanches, mais ces gens se servent d’un des féminismes antiracistes les
plus productifs pour leur agenda abolitionniste et anti porno de merde.
Franchement, si ce n’est pas de l’indécence politique, je ne sais pas ce que c’est…
Gabriell João Galli
6 octobre 2012