La démocratie performative de …mes couilles en plastoc
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Echec de la promesse de démocratie participative de Ségolène Royal : elle aurait pu être performative, elle n’est que normative
Une campagne présidentielle classique est une séquence d’actes de langage bien alignés qui suit une narration contrôlée : celle de « la rencontre entre la nation et l’élu.e de son cœur » puis de ses urnes. Dans ce récit linéaire à la fois politico-sexuelle et hétérocentrée tout commence par la déclaration (d’amour) du candidat/de la candidate. L’autre volet indispensable de toute campagne est la projection moderniste d’un espace public dit rationalisé et dont la fonction idéale, pour reprendre la conception habermassienne, serait de permettre à l’opinion publique d’exercer un pouvoir citoyen dans l’arène communicative nationale.
Elle a eu des couilles, Ségolène Royal en essayant de faire un nouveau type de politique. Eût-elle été féministe, il lui aurait même été possible de préciser que ses couilles étaient en plastique, participant d’une forme de masculinité (et donc du pouvoir qui lui est attaché) dont on sait la « nature » prosthétique et ambulatoire. Loin d’être biologique, la masculinité et ses privilèges afférents sont une construction culturelle et sociale. Une arme politique pour les féministes, en politique et ailleurs, qui depuis les suffragettes en passant par la Nouvelle Femme des années 30 et « Rosie The Riveter »1, savent bien que les appropriations de la masculinité qu’on leur reproche comme autant des manquements à « leur » féminité révèlent bien plus l’interdiction d’accès à certaines tâches et masquent mal la fragilité de la caution masculiniste : si la masculinité est culturelle, son lien naturel et attributif avec le pouvoir peut être défait. La masculinité, ses codes et ses privilèges ne sont pas réservés aux hommes biologiques.
Elle a eu des couilles, Ségolène Royale en tentant de jouer la carte de la démocratie participative. On l’a même cru un instant post-moderne ; la seule qui aurait intégré les nouveaux experts et les renversements d’expertise, celle qui aurait brisé avec la fiction rationnelle de l’espace public moderne fondamentalement excluant (des femmes, des minorités et des pauvres…) en proposant une politique in process, carburant à l’énergie performative et révélant par là même la dimension performative de la sphère publique. Au lieu de continuer à projeter celle-ci dès le départ, de croire à sa stabilisation tout en oeuvrant au contrôle de la circulation de la communication, de faire croire à la présence des différents publics, Ségolène Royal a essayé de faire avec. D’attendre. Après la remontée des débats participatifs, l’espace public apparaîtrait différent et pour ce qu’il est toujours : le produit de discours, des paroles des publics, des micropublics.
Position de Pénélope, d’attente et d’écoute et donc prétexte à re-féminisation pour certains. Il est d’ailleurs intéressant de voir que Ségolène Royal à la différence de bien des femmes politiques qui se sont cassées les dents sur le masculinisme d’Europe le plus serré, celui français, est rarement accusé de transgresser son genre. On est loin des MAM trop testotéronées au goût de Nadine Morano. Ségolène Royal a essayé de bricoler un nouvel agencement d’énonciation plus démocratique qui, dans un premier temps en tout cas, ne faisait pas d’elle la source de l’énonciation et encore moins de profération autoritaire.
Il faut dire que c’était une bonne manière de pallier son exclusion de départ du schéma narratif matrimonial imposé. Certes, elle a dû se plier à l’exercice de la déclaration car, comme le disait l’expert psychanalytique à la télévision dans ses conseils de bon copain à Sarkozy, une déclaration de candidature est une déclaration d’amour. A lui de modérer ses ardeurs et de ne pas prendre la France « à la hussarde ». De fait, il ne restait plus qu’à l’instit « troisième république » à se fondre dans l’immersion participative. Imaginerait-on que Marianne soit séduite par une femme ? Comment Ségolène Royale pouvait-elle prendre la République à moins d’être lesbienne ? Sarkozy enchaînait crescendo : déclaration puis transformation (le « j’ai changé du discours » de la Porte de Versailles), agrandissement (carrure de présidentiable comme l’assura complaisamment un bel article du Monde). De son côté, Ségolène Royale ripait : distance avec son parti, discussion en rond à hauteur de ses interlocuteurs. La presse s’employait à la rapetisser en tout sens jusqu’à ce qu’elle rejoigne son challenger dans la phase d’incarnation, de personnalisation et de fusion avec la nation.
Entre temps, faute d’être vraiment post-moderne, elle avait planté la force performative qui aurait peut-être permis de complexifier l’espace public en période électorale (et plus). Les micro-publics, les contre-publics pour reprendre une formulation de Michael Warner n’ont pas pu émerger. Elle les a même figés. L’expertise est de nouveau bloquée par le haut. Au lieu de profiter des tensions productives entre ces nouveaux micro-publics qui auraient pu émerger de la démocratie participative, nous voilà de nouveau dans la démocratie normative, avec le rassemblement unifié de la nation autour de la Madone pour horizon. L’émancipée du Parti Socialiste voit la vieille photographie de famille recouvrir les différences culturelles et sociales : les éléphants sont de retour, une équipe bien blanche, majoritairement masculine et même pas multigénérationnelle pour ne pas parler du reste qui manque.
Le problème, c’est d’avoir ramassé les mails comme des copies pour en faire des synthèses des débats participatifs consultables sur le site Désirs d’Avenir, d’avoir stoppé la circulation des paroles pour les transformer en une présentation démagogique de verbatim agrémentés de prénoms. Pour qu’émergent les micro contre-publics et qu’ils comptent politiquement, pour qu’ils soient dotés d’une capacité d’agir et de décider qui ne se limite pas au jour du vote, il fallait que la circulation des paroles ne soit pas interrompue, qu’elles ne soient pas ramenées à un propos individuel ou testimonial, bref qu’elles ne soient pas dépolitisées et finalement arborées de manière descendante par la candidate. Il fallait même les visibiliser. Car l’émergence de nouvelles formes d’agir politiques post-modernes en cours – Ségolène Royale n’a fait que tenir compte d’une modification de l’espace public généralisée dans les pays démocratiques occidentaux et dont elle n’a d’ailleurs pas aperçu la dimension transnationale – ne se confond pas avec l’interactivité d’Internet ou une participation qui n’aboutirait pas à une augmentation du pouvoir citoyen. L’émergence de ces publics actifs que le dispositif de Ségolène Royale aurait pu booster n’a rien à voir avec son écrasement télévisuel que réalise une émission comme J’ai une question à vous poser. Définis et choisis en fonction des critères socio-économiques des sondeurs échantillonneurs, qui valent pour caution scientifique ! De manière à éviter le casting par la production, a-t-on jamais vu public plus individualisé donc dépolitisé et captif ?
Il ne s’agissait pas de générer un niveau d’intervention personnel, individuel et testimonial mais d’aller contre la construction stable et excluante de l’espace public national et de visibiliser en toute conscience des micropublics actifs. De ménager des espaces entre la construction simpliste de la réalité de la campagne par les sondages ou des émissions de télévision finalement populistes. Mais Ségolène Royal n’a eu de cesse de reprendre le fil de la narration classique de la progression vers le jour J. Pacte, promesses, con-fusions habituelles dans l’ontologie de la nation : « je suis la nation », « vous l’êtes », « je ne suis rien sans vous », « mon équipe, c’est vous »… un faible dialogue macroscopique a pris la place d’une reconstruction permanente et macrostruturelle des publics politiques actifs.
Cet écrasement de la démocratie performative par le retour de la démocratie normative n’a pas de quoi surprendre dans un pays comme la France. Il prouve aussi que ce n’est pas le clivage droite/gauche qui joue ici mais plutôt un autre, celui moderne/post-moderne et à quel point l’ancrage socialiste français est prisonnier de son républicanisme universaliste. Sans doute plus que le libéralisme à la Sarkozy qui a compris la nécessité de l’action positive (l’Affirmative action que les journalistes français jouissent de mal traduire par « discrimination positive »), et c’est triste à dire. Pourtant, il n’y aura pas d’égalité sociale et culturelle tant que ne sera pas constitué un nexus de sphères publiques multiples. Tant que ne seront pas autorisées de nouvelles formes de pouvoir citoyen et de micro-souverainnetés qui peuvent faire face à la transnationalisation et aux déports de puissance sur des institutions elles aussi trans ou non étatiques. Il est fini le temps où l’Etat pouvait protéger, réguler, cadrer, diffuser les valeurs. Et qui s’en plaindrait ?
Les contrepublics ne sont pas composés d’individus ou d’internautes sans réseaux. Ils ne se confondent pas non plus avec la somme de collectifs (dont on voit bien qu’ils ne s’additionnent jamais comme le prouve assez l’éclatement de la gauche de la gauche). Ils sont en conflit avec les groupes sociaux dominants et heurtent les normes de la culture dominante. Ce sont eux qui révèlent les marges de la démocratie normative, moderne et rationnelle qui écrase les différences, les cultures et les multi-identités. Eût-elle été féministe par choix et avec précision, Ségolène Royale se serait souvenue qu’en citant Ni Putes Ni Soumises comme référence, elle fait la promotion non pas d’un féminisme mais d’une association fabriquée par le PS, qui reconduit le stigmate des putes et leur exclusion au profit d’une vision sélective de La Femme. Elle n’aurait pas été sourde à l’expertise avérée et revendiquées de l’association Les Putes qui l’interpelle et ne leur substituerait pas les fantasmes de Laurence Rossignol. Eût-elle été féministe par elle-même qu’elle aurait développé une réelle réflexivité féministe et des politiques sexuelles et de genre, ce qui lui aurait évité de se retrouver féministe de position vues les attaques misogynes dont elle fait constamment l’objet ou de renouer avec la féminitude maternalisante et anti-féministe d’Antoinette Fouque. La pire promesse que n’a pas tenue Ségolène Royale, c’est bien de ne pas avoir mis la méthode participative au service de l’empowerment des publics actifs. Il ne leur reste que le geste du vote – insuffisant comme le prouvent les dernières échéances dont le 22 avril et le non à la constitution – dans un espace sur lequel ils n’ont pas prise, construit par et pour les amis de Sarkozy dans les limites légales de la décence.
Marie-Hélène Bourcier (le 08 mars 2007)
Sociologue, université Lille Paris I, EHESS.
Dernier livre paru :
Queer Zones II