La démarche se voulait avant tout culturelle, comme il l’explique:
"Le cinéma érotique et encore plus porno est déconsidéré, alors qu’il occupe une place très importante dans le patrimoine du cinéma français. Un dictionnaire répertoriant tous les films avec des génériques complets, des résumés et des critiques me paraissait donc s’imposer pour une meilleure connaissance de sujet.
On ne peut sérieusement pas dire que quand on a vu un film porno, on les a tous vu. Ou alors, on peut dire la même chose du cinéma comique ou policier."
Un mélange audacieux de textes et d'images parfois désuètes, parfois vulgaires
La revue, à raison d’une publication mensuelle, devait faire le tour, en vingt-quatre numéros, de l’histoire de ce cinéma. Après des débuts prometteurs, le numéro 4 publié le mois dernier sera finalement le dernier. Parce que le porno n’intéresse personne? Parce que la revue est mal faite? Parce que c’est la crise? Petite enquête…
La revue d’abord, plutôt tendance "pin up", mélange audacieux de mots (intelligents, analytiques, on cite Sartre, on réfléchit, on sent qu’il y a du recul) et d’images parfois délicieusement désuètes, parfois plus basiquement vulgaires.
Au milieu, un fascicule détachable: le "Dictionnaire des longs métrages français érotiques et pornographiques". Là, aucune image, des noms d’acteurs, des résumés, des explications, on se croirait dans l’Encyclopédia universalis et, sauf à faire une recherche particulière, l'ensemble est peu attractif.
Quand on s’oblige à lire pourtant, on apprend plein de choses, on découvre des visions sociales de la sexualité et de l'évolution des rapports hommes-femmes, les manifestations de la politique dans cet espace particulier, ce que peut être un "cinéma d’auteur pornographique", et plein de choses intéressantes.
Un cours d’histoire à travers des personnages auxquels devaient s’identifier les spectateurs, par exemple sans emploi quand la montée du chômage ont commencé à occuper le devant de la scène.
Ce choix d’un porno culturel, qui revendiquait sa place près des cahiers du cinéma plutôt que dans ce que l’on appelait "l’enfer" d’une bibliothèque, le coin "discret" des kiosques était probablement trop hardi.
"Avec le cellophane, on sous-entend qu'un contenu porno est interchangeable"
Et la crise? On a déjà pu remarquer qu'elle était au contraire plutôt propice au développement des marchés de l’érotisme, donc ça n’est pas de ce côté-là qu'il faut chercher l'explication de l'arrêt de Cinerotica.
Pour Christophe Bier, c’est clair, tout est fait pour que les revues pornos ne puissent plus être accessibles. Ainsi, les placer sous cellophane n’est pas sans conséquences pour l'achetur:
"Certains voient dans le récent emballage des revues érotiques un progrès. Mais on ne se place jamais du côté du lecteur, dont l'achat ne peut plus être motivé que par la seule observation de la couverture.
En procédant ainsi, on sous-entend qu’un contenu porno est interchangeable, qu’on n’a pas besoin de le feuilleter pour se décider ou non à l'acheter. Au nom de la protection des mineurs, on pénalise le public adulte.
C’est d’ailleurs pour répondre aux kiosquiers que nous avons fini par mettre Cinérotica sous cellophane. C’est parfaitement hypocrite. Je me souviens qu’au début des années 80, on trouvait dans les rayons des hypermarchés des bandes dessinées sadomasos de Jim et de Stanton.
Personne alors ne se souciait de ça. Aujourd’hui, c’est impossible. L‘érotisme a quitté les supermarchés depuis longtemps."
La protection des mineurs, invoquées par les associations conservatrices
Il n'a pas que le cellophane: un autre responsable, c'est l’article 227-24 du code pénal, qui prévoit jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d’amende le fait de "fabriquer, de transporter, de diffuser un message [...] pornographique, [...] lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur".
Selon le comédien, "les associations conservatrices s’en servent de plus en plus souvent pour menacer les éditeurs mais aussi les kiosquiers".
La situation est aggravée par le fait que certains kiosquiers n’ont même pas déballé Cinérotica. Christophe Bier explique:
"Je connais des gens qui ont eu un mal fou à trouver la revue, tout de même tirée à 40 000 exemplaires. Ils faisaient plusieurs kiosques, parfois, quand ils insistaient, le type finissait par sortir un numéro d’un carton, preuve flagrante de leur sabotage.
Une autre fois, le client a vu le vendeur partir en réserve pour lui ramener un numéro, parce qu’il considérait que Cinérotica n’avait rien à faire dans ses rayons. D’autres kiosquiers nous ont reproché le titre, trop explicite et même la couleur rose, trop incitative, je suppose!"
"Il y a des violeurs qui ont lu la Bible? Faut-il interdire la Bible?"
La conclusion de Christophe, c'est qu'on continue "à considérer la pornographie comme quelque chose de dégradant, de mal, de condamnable, de nuisible, voire de criminogène":
"Pour faire bonne mesure, on commence à défendre une bonne pornographie, mais c’est pour mieux rejeter l’autre, la mauvaise.
La pornographie serait responsable de viols alors que parmi les violeurs, il y a des gens qui ont lu la Bible... Faudrait-il donc en priorité interdire la Bible?
On nous accable toujours avec les réseaux de pédocriminalité, les actrices qui sont exploitées par des mafias sordides, contraintes à tourner des pornos ignobles: tout cela existe mais relève de la criminalité, pas du cinéma, que sa vocation soit commerciale ou artistique. Toute une littérature pornophobe se développe aujourrd'hui."
Pornophobie qui empêche même d’y réfléchir ou de tenter de réaliser un dictionnaire des films.
Par Camille
Pour en savoir plus:
BIER Christophe, Censure-moi, histoire du classement X en France, Paris, L’esprit Frappeur, 2000, 201p.