«La violence ne fait pas de distinction entre les genres»
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360° (site LGBT suisse)
Par Emmanuel Coissy, juin 2006
Mira Ofreneo, psychologue philippine, et Bernadette Muthien, activiste de la cause des femmes et des LGBT en Afrique du Sud se sont rencontrées en avril dernier à Genève lors de la conférence de l’ILGA. Fortes de leur expérience, elles animaient un atelier ayant pour thème la violence dans les couples de même sexe et réunissant des homos du monde entier.
Comment vous êtes-vous intéressées à ce sujet ?
Mira Ofreneo: En 1991, à l’occasion du forum des lesbiennes d’Asie, une participante a exposé le fait qu’elle avait connu des relations violentes. Dans la foulée, elle expliquait les diverses thérapies à mettre en place dans de tels cas. Ce sujet m’a intéressée. En effet, si dans un couple hétéro, c’est presque toujours la femme qui cherche de l’aide, je me demandais de quelle manière cela se passait dans les couples homos. Par la suite, de nombreux couples homos, hommes et femmes, sont venus me demander une assistance psychologique.
Bernadette Muthien: Tout d’abord, j’étais une jeune activiste contre l’Apartheid. Une fois la démocratie établie, lorsqu’il a fallu reconstruire le pays et réconcilier les populations, plusieurs problèmes ont émergé. En particulier l’un d’eux: l’Afrique du Sud connaissait un fort taux de violence, entre autres domestique, dont des viols et des meurtres à mettre directement en relation avec le patriarcat. Bien sûr, les couples de même sexe n’y échappaient pas. J’en ai moi-même été victime.
Existe-t-il une spécificité de la violence au sein des couples de même sexe?
M.O.: Il s’agit des mêmes types de violence: verbale, physique, émotionnelle, sexuelle, économique, etc. Sans même parler de l’attitude de la personne violente et de celle qui la subit, la différence est dans le rapport qu’entretiennent le couple homosexuel et les homosexuel-le-s face au monde extérieur. Je pense à leur peur de l’homophobie qui dans nombres d’Etats empêche les homos d’accéder aux consultations. En effet, ces personnes, déjà stigmatisées dans leur couple, craignent une seconde stigmatisation relative à leur sexualité. Elles ont peur d’admettre qu’il puisse exister des problèmes conjugaux chez les personnes LGBT ou peur de perdre leur partenaire perçu-e comme l’unique personne pouvant les comprendre.
B.M.: En effet, la violence n’a pas de visage homosexuel, même si beaucoup de relations homos imitent le schéma masculin-féminin. En revanche, les structures de soins sont hétéronormatives, sans cellules spécifiques à l’homosexualité. Les groupes Queer et LGBT revendiquent le fait que les couples de mêmes sexe soient aidés comme tels.
Dans vos consultations, quelle est la proportion d’hommes et de femmes?
M.O.: Il y a davantage de femmes, sans doute parce que les hommes sont moins enclins à en parler.
La violence se manifeste-t-elle différemment entre les gays et les lesbiennes?
M.O.: J’ai constaté le même spectre de violences domestiques – des plus extrêmes aux plus légères – indifféremment chez les deux. La violence ne fait pas de distinction entre les genres.
B.M.: On manque d’études à ce sujet. Mais des enquêtes canadienne et australienne prouvent que la violence est transversale et qu’elle dépasse la notion de classe ou de genre. Comme chez les hommes, des femmes en violent d’autres avec ou sans instrument. Lors d’ateliers sur la violence dans les couples homosexuels, les témoignages d’hommes et de femmes abondent. Dans le cadre du viol prétendument curatif* d’un homme par un autre, tel qu’il est pratiqué en Afrique, je m’interroge sur la véritable orientation sexuelle du violeur et sur ses intentions réelles.
Vous faites une distinction entre la «fem» et la «butch» au sein de certains couples de lesbiennes. Est-ce la reproduction du couple hétéro? Et si oui, est-ce toujours la butch qui agresse la fem?
M.O.: C’est un peu la norme et beaucoup de femmes se calquent sur ce modèle. Sans parler de reproduction, la violence va souvent dans ce sens-là. Mais il existe bien des cas où la fem violente la butch.
B.M.: La violence survient aussi dans les couples de femmes ou d’hommes où les rôles ne sont pas si définis. J’en suis un parfait exemple, puisque j’ai subi des violences à deux reprises lors de relations – l’une avec une Américaine, l’autre avec une Allemande – toutes deux activistes des droits humains. J’ai été étranglée jusqu’à en perdre connaissance. Les problématiques de violence et de pouvoir sont toujours actives même de manière sous-jacente. Les couples, butch et fem violents ont intégré une violence à caractère masculin-féminin. Donc oui, c’est une reproduction de ce schéma. Pourtant sans qu’il y ait forcément un lien direct avec la force physique. J’ai connu des petites butchs frappant de corpulentes et grandes fems.
Au cours de l’atelier que vous animiez, des femmes d’Afrique et d’Amérique du Sud ont raconté leurs expériences traumatisantes. Au vu de la précarité que connaissent les pays du sud et les régions en guerre, la violence conjugale se présente-t-elle différemment en fonction de l’environnement?
M.O.: Il est très difficile de le vérifier.
B.M.: Les rapports d’Amnesty International et de l’OMS démontrent que, lors de conflits, la violence est partout. Elle est, par ailleurs, universelle. Pays pauvres et riches sont sur pied d’égalité.
Je pense qu’aujourd’hui, alors que nous parlons, quelqu’un est victime de violence sur le sol suisse.
La personne qui agresse et la personne agressée sont deux victimes. Comment les soigne-t-on?
M.O.: Il n’y a pas de formule toute faite ou de protocole pour apprendre aux gens à communiquer sans violence. Il s’agit d’un traitement au cas par cas.
Les tribunaux vérité et réconciliation d’Afrique du Sud sont-ils un modèle de thérapie pour les couples vivant dans la violence?
B.M.: Absolument. Je pense que nous avons tous besoin de soulagement et de consolation. Nous avons tous à travailler sur la peur et l’insécurité qui sont des concepts qui mènent à devenir plus violent. On doit être conscient que nous vivons dans un monde qui souffre du patriarcat.
Sur le plan international, quels sont les progrès?
B.M.: Les LGBT australiens sont très actifs. Ce pays a par exemple vu l’ouverture récente d’un abri pour les homosexuel-le-s battu-e-s.
La victime dit aimer son bourreau et réciproquement. L’amour quand il est entaché par la violence reste-t-il de l’amour?
M.O.: Il y a des personnes qui ont tendance à banaliser la violence qui s’inscrit dans leur couple. Bien souvent, selon ces dernières c’est la violence, idéalisée en terme de passion, qui, comme une justification du sentiment amoureux, attesterait de la présence de l’amour.
* Par viol curatif, on entend le fait de vouloir remettre la ou le prétendu-e dévoyé-e dans le droit chemin en abusant de sa personne.
Can’t live in the closet à Manille: www.salidumay.org/about/clic.htm
Engender à Cape Town: www.engender.org.za
Lire le rapport santé femme de l’ILGA «Lesbian and bisexual, women’s health: common concernes, local issues»
www.ilga.org