Lectures Queer
CONJONCTURES no 41-42 — DRÔLE DE GENRE
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Conjonctures
CONJONCTURES no 41-42 ( février 2006 ) — DRÔLE DE GENRE
Suggestions de lecture
par Colette St-Hilaire
Les titres qui suivent disent nos inspirations. Ils ne prétendent aucunement à l’exhaustivité ni à la représentativité.
Des textes de la mouvance queer anglo-saxonne
Quelques classiques seulement, tant la liste est impressionnante :
Judith Butler,
Trouble dans le genre, Paris, Éditions La décou-verte, 2005.
Vie précaire, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.
Humain, inhumain, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.
Le pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.
Antigone : la parenté entre vie et mort, Paris, EPEL, 2003.
Ondoing Gender, New York, Routledge, 2004. (À paraître en français aux Éditions Amsterdam).
Quand est paru Gender Trouble en 1990, personne ne pouvait soupçonner qu’il allait devenir un classique de la théorie queer. Dans le contexte des mobilisations queer autour de la crise du sida, Butler avait frappé dans le mille. (Voir dans ce numéro le compte-rendu de Georges Leroux.) Ses ouvrages subséquents ne déçoivent pas : elle y décortique les normes et les identités qui nous constituent dans leur relation au pou-voir et à la domination. Son travail le plus récent, Undoing Gender, est passionnant : avec sa rigueur et son audace habi-tuelles, Butler navigue dans les eaux troubles de la transsexualité et de l’inceste, s’interroge sur la fin de la différence sexuelle, et analyse le rôle du féminisme dans le contexte mondial actuel, à partir notamment de textes de féministes du Sud telles que Gayatri Spivak et Gloria Anzaldúa. (Voir dans ce numéro le compte-rendu de Ivan Maffezzini.)
Anne Fausto-Sterling, Sexing the Body. Gender Politics and the Construction of Sexuality, New York, Basics Books, 2001.
Biologiste et historienne des sciences, Fausto-Sterling retrace l’histoire des principaux savoirs et croyances sur le sexe, de-puis le sexe du cerveau jusqu’aux théories du dualisme sexuel, en passant par le débat sur les hormones. Elle démon-tre avec force détails, à la suite de Donna Haraway, que la biologie est une autre façon de faire de la politique.
David Halperin, Saint Foucault, Paris, EPEL, 2000.
Halperin nous propose une relecture de Foucault à la lumière des grandes mobilisations autour de la crise du sida. Selon lui, si Foucault n’a jamais voulu s’identifier à un quelconque mouvement de libération gai, il n’en a pas moins proposé une critique cinglante du pouvoir et une éthique de la cons-truction de soi à partir de l’homosexualité, ce qui fait de son oeuvre un incontournable de la politique queer.
Eve Kosofsky Sedgwick, Epistemology of the Closet, Berkeley, University of Columbia Press, 1998.
Sedgwick déconstruit l’expérience du placard. Elle montre qu’on n’y est jamais totalement dedans, — car toujours quel-qu’un sait — ni totalement en dehors, — car il s’en trouve toujours un qui souhaite que le secret soit gardé. Et l’on en sort toujours trop tôt, puisque cela crée du remous, et tou-jours trop tard, puisqu’il n’y a pas de raison d’y avoir été. Le placard est une impossibilité et la lutte contre l’homophobie passe par sa déconstruction.
Michael Warner, The Trouble with Normal. Sex, Politics, and the Ethics of Queer Life, New York, The Free Press, 1999.
Warner se livre aussi à la déconstruction de l’identité homo-sexuelle, à partir d’une analyse fine de l’expérience de la honte. Son livre est une charge contre les mouvements gais identitaires et contre la montée de la droite aux États-Unis, y compris au sein du mouvement gai.
John J. Winkler, Désir et contraintes en Grèce ancienne, Paris, EPEL, 2005.
Winkler prouve qu’il est possible de conjuguer anthropologie et philologie classique. (Voir dans ce numéro le compte-rendu de Janick Auberger.)
Des textes de la mouvance gaie et queer en France
Marie-Hélène Bourcier, Sexpolitiques. Queer zones 2, Paris, La fabrique, 2005.
Queer zones, Paris, Balland, 2001.
Beatriz Preciado Manifeste contra-sexuel, Paris, Balland, 2000.
« Féminismes, queer, multitudes », Multitudes, no 12, prin-temps 2003.
En juin 2000, se tenait à Paris un séminaire où l’on discutait de l’histoire tragique de Brandon Teena, un jeune transgenre américain tué par des homophobes qui ne pouvaient pas supporter sa transgression des frontières du genre. Le zoo était un séminaire hors-norme : animé par un petit bout de femme énergique, Marie-Hélène Bourcier, il n’avait rien d’officiel et squattait à La Sorbonne ; il était d’ailleurs fré-quenté par une faune très jeune et très queer. Une partici-pante, Beatriz Preciado, y avait proposé une analyse brillante, inspirée de Foucault, des événements entourant l’assassinat de Brandon Teena.
L’on retrouvera Bourcier et Preciado quelques années plus tard en librairie, avec des ouvrages post-féministes, politi-ques, queers et pro-sexe, provocants et imaginatifs par sur-croît. Leurs écrits sont en effet à la fois charnels, théoriques et
politiques ; elles relisent Wittig et Foucault, traquent les dis-cours et les pratiques normatives dans les universités, le ci-néma ou la pornographie, et elles inventent de nouveaux discours sur le sexe. Ainsi, dans Sexpolitiques, Bourcier tra-vaille les intersections entre genre, sexualité, race et politi-que ; elle s’en prend à la divine République française, à son féminisme et à son mouvement gai bon chic bon genre, à ses pratiques d’exclusion sociale. Dans son Manifeste contra-sexuel, Preciado nous invite à renoncer à notre état d’homme ou de femme et à utiliser les technologies pour multiplier les pratiques et les plaisirs sexuels.
Nous retrouvons des textes de Bourcier et de Preciado dans le numéro 12 de la revue Multitudes consacré aux rapports entre féminisme, post-féminisme queer et multitudes. Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas cette revue, sachez qu’elle est publiée en France et compte un collectif interna-tional de plusieurs membres, dont Toni Negri et Michael Hardt. Multitudes anime aussi un forum de discussion sur Internet.
Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.
Les études gay et lesbiennes, Paris, Centre Georges Pompi-dou, 1998.
Éric Fassin, Liberté, égalité, sexualités : actualité politique des questions sexuelles, entretiens avec Clarisse Fabre, Belfond, Le Monde, 2003.
Moins iconoclastes peut-être, mais importants dans la genèse d’une réflexion sur l’homosexualité en France, les travaux de Didier Eribon portent sur la formation d’une identité gaie et sur son déploiement stratégique dans le contexte actuel, à la lumière toujours des travaux de Foucault, dont il est l’un des biographes. Éric Fassin, quant à lui, est surtout connu pour ses interventions dans le débat sur le mariage gai et l’homoparentalité (voir ci-après).
Des textes féministes post-identitaires et postcoloniaux
Pendant une bonne vingtaine d’années, les féministes ont préparé le terrain à une réflexion sur l’identité sexuelle, avec des oeuvres qui ont en commun la déconstruction d’un cer-tain sujet du féminisme, une déconstruction souvent motivée par une position minoritaire, fût-elle celle d’une lesbienne, d’une femme de couleur, d’une femme latino-américaine. En voici quelques-unes :
Rosi Braidotti,
Nomadic Subjects, New York, Columbia Uni-versity Press, 1994.
Braidotti présente une approche originale faite d’un dialogue entre le féminisme de la différence sexuelle et la philosophie
poststructuraliste, celle de Deleuze notamment. Elle propose l’affirmation d’un sujet-femme non essentiel, un sujet no-made, précaire et instable, mais néanmoins sujet d’une affir-mation féministe.
Lesbians Travel the Roads of Feminism Globally, New York, Rutgers University, Center for Women Global Leadership, 2000.
Cet ouvrage présente les préoccupations et les positions de lesbiennes de diverses régions du globe et leur lente intégra-tion aux revendications des mouvements de femmes, no-tamment dans le cadre des grandes conférences des Nations Unies sur les femmes.
Arnaldo Cruz-Malavé et Martin Manalansan (dir.), Citizen-ship and the Afterlife of Colonialism, New York, NYU Press, 2002.
Divers auteurs appartenant aux études gaies et lesbiennes et aux études postcoloniales se livrent à un examen des récits constitutifs de la mondialisation, de leurs effets de pouvoir et des stratégies qu’ils dessinent.
Gayatri Gobinath, Impossible Desires. Queer Diasporas and South Asian Public Cultures, Durham (NC), Duke University Press, 2005.
Féministe et queer, Gobinath explore les productions culturel-les de la diaspora indienne et propose des conceptualisations de l’identité qui interrogent les mouvements identitaires, qu’ils soient féministes, gais ou indiens.
Donna Haraway, Modest_Witness@Second_Millenium : female-man_Meets_OncoMouse, New York, Routledge, 1995.
Historienne des sciences, Haraway explore le monde de la technoscience et nous invite à prendre acte des mutations en cours : nous sommes des cyborgs, c’est notre ontologie et c’est de ce point de vue queer que le féminisme peut le mieux se redéployer.
Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Balland, 2001 (paru en anglais en 1992).
Ce recueil d’essais de Wittig est radical : ce ne sont pas les classes qui fondent le régime d’oppression que nous connais-sons, c’est l’hétérosexualité. C’est une invitation à pratiquer un féminisme lesbien et matérialiste.
Cherrie L. Moraga et Gloria E. Anzaldúa, This Bridge Called my Back. Writings by Radical Women of Color, New York, Third Women Press, 2001 (1ère édition 1983, The Kitchen Table Press).
Il s’agit ici d’un classique : il réunit des textes de fiction, des poèmes et des essais de femmes de divers continents, in-cluant des lesbiennes et des femmes de milieu populaire, ce qui, en 1983, n’était pas très courant. Barbara Smith et Au-drey Lorde comptent parmi les auteures les plus connues du groupe, avec les éditrices Moraga et Anzaldúa. L’ouvrage dénonce le racisme, l’oppression de classe et l’homophobie, et il interpelle le mouvement féministe sur ces questions.
Des textes écrits au Québec
Louise Brossard, Trois perspectives lesbiennes féministes articu-lant le sexe, la sexualité et les rapports sociaux de sexe : Rich, Wit-tig, Butler, Montréal, Institut de recherches et d’études fémi-nistes, Les Cahiers de l’IREF, no 14, 2005.
Louise Brossard critique l’hétéronormativité inhérente aux conceptions féministes du sexe et du genre à partir d’une lecture des féministes lesbiennes.
Line Chamberland, Mémoires lesbiennes : le lesbianisme à Mon-tréal entre 1950 et 1972, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1996.
À partir d’entretiens réalisés auprès de lesbiennes d’âges di-vers, Line Chamberland a entrepris un véritable travail de construction d’une mémoire collective pour les lesbiennes du Québec.
Irène Demczuk et Frank Remiggi, Sortir de l’ombre, histoire des communautés lesbienne et gaie de Montréal, Montréal, VLB édi-teur, 1998.
L’ouvrage couvre les années 1950-1990, soit l’histoire de l’affirmation, de l’organisation et des luttes pour la recon-naissance des gais et des lesbiennes. On y trouve notamment un texte de Louise Turcotte sur le rôle de la revue Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, un texte de Thomas Waugh sur la photographie homo-érotique à Montréal, un de Ross Hig-gins sur les bars gais et un de Line Chamberland sur les bars lesbiens.
Anick Druelle, Mouvements de femmes et mondialisation capita-liste : pratiques et discours au sein des quatre conférences mondia-les des Nations Unies sur les femmes, 1975-1995, UQÀM, dépar-tement de sociologie, 2001. (À paraître aux Presses de l’Université Laval)
Anick Druelle a analysé les rapports de pouvoir et les straté-gies féministes dans le cadre des conférences internationales des Nations Unies, ce qui l’a menée à ses recherches actuelles
sur les luttes des lesbiennes et des femmes appartenant à des groupes minoritaires au sein des réseaux féministes interna-tionaux.
Ross Higgins, De la clandestinité à l’affirmation : pour une his-toire de la communauté gaie montréalaise, Montréal, Comeau et Nadeau, 1999.
À partir d’archives diverses, dont les journaux à potins, Hig-gins retrace l’histoire des gais de Montréal, de la discrimina-tion qu’ils ont subie, des discours qu’on a tenus sur eux, de leur organisation et de leurs luttes.
Joanne Lalonde, « Mythographies web : les identités fabri-quées », Actes du colloque Enjeux actuels de l’art web, 71e congrès de l’ACFAS Rimouski, Archée_cybermensuel, dé-cembre 2003, http://archee.qc.ca.
Joanne Lalonde explore dans ce texte les multiples possibili-tés offertes par le web pour le travestissement et le déborde-ment subversif des identités.
Diane Lamoureux (dir.), Les limites de l’identité sexuelle, Mon-tréal, Éditions du remue-ménage, 1997.
Cet ouvrage réunit les textes d’un colloque tenu à l’Université Laval en juin 1997, des textes axés sur la décons-truction de l’identité sexuelle et la critique des mouvements identitaires.
Bernard Saladin d’Anglure, « Le troisième sexe social chez les Inuit », Diogène, no 208, 2004.
La thèse de l’anthropologue québécois, dans un numéro de Diogène consacré au genre.
Louise Turcotte, « Queer Theory : Transgression and/or Re-gression ? », Canadian women’s Studies, vol. 16, no 2, 1996, p. 118-121.
Louise Turcotte critique l’approche queer à partir d’une pers-pective féministe matérialiste.
Thomas Waugh, The Romance of Transgression in Canada : Sexualities, Nations, Moving Images, Toronto, University of Toronto Press. (À paraître)
Dans ce recueil d'essais, Tom Waugh revisite des oeuvres, des personnages et des auteurs, dont Claude Jutra, Jean-Claude Lauzon et Paule Baillargeon ; nous publions dans ce numéro un chapitre inédit de cet ouvrage, « Boys and Beast », une analyse des films de sport dans le cinéma québé-cois.
Le débat sur l’homoparentalité
Daniel Borillo, Éric Fassin et Marcela Iacub, Au-delà du PACS : l’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualilté, Paris, Presses univer-sitaires de France, 1999.
Un ouvrage collectif des défenseurs du PACS, une tentative de pen-ser la famille au-delà de la grille hétéronormative.
Martine Gross (dir.), Homoparentalité, états des lieux, Ramonville-St-Agne, Érès, 2005.
Une somme sur le sujet, avec notamment un texte de Nicole-Claude Mathieu sur les rapports entre sexe et genre, un autre de la Québé-coise Ann Robinson sur le cadre législatif mis en place avec la loi 84 au Québec, et un texte remarqué d’Irène Théry sur la filiation. Théry a fortement critiqué le PACS (la loi française permettant une union civile entre conjoints de même sexe) et a défendu, au nom de l’Ordre symbolique, l’institution du mariage et la différence des sexes. Ce qui lui a valu des critiques et des débats enflammés.
Marcela Iacub, Et le crime était presque sexuel, Paris, Epel, 2002.
Un ouvrage important de la juriste Marcela Iacub. L’on notera sur-tout ici la troisième partie du livre, qui traite d’homoparentalité et d’ordre procréatif, une réponse directe aux thèses d’Irène Théry. (Voir dans ce numéro le compte-rendu de Ivan Maffezzini.)
Guy Ménard, Le mariage gai, Montréal, Liber, 2004.
Un recueil d’articles parus dans Le Devoir qui permet de circonscrire
les diverses positions sur le mariage gai.
Marie-Blanche Tahon, Vers l’indifférence des sexes ? Union civile et filia-tion au Québec, Montréal, Boréal, 2004.
Une critique de la loi 84 sur l’union civile au Québec, que Marie-Blanche Tahon résume dans son texte publié dans ce numéro.