Porno: La fête est finie
-> Une info lue sur:
360Raciste, sexiste et cynique… le nouveau porno est là. Face à son ultra-réalisme, dont les vidéos «gonzo» sont emblématiques, les spectateurs commencent tout juste à réagir. Tombant un jour sur une vidéo de «throat gagging» (bâillonnement de gorge), le journaliste français Frédéric Joignot raconte une scène de fellation forcée où l’actrice semble prête à défaillir: «D’un seul coup, je me suis rendu compte que j’étais le témoin d’un viol, que la violence et l’humiliation sur l’écran n’étaient pas truqués, qu’elles étaient vraiment vécues.» Le choc de cette confrontation l’a amené à consacrer une enquête récemment parue à ce qu’il nomme «pornographie de la démolition».
Sur Internet, les images du porno d’aujourd’hui posent toute la question de la limite entre simulation et réalité, consentement et contrainte. Envers les femmes, mais aussi les travestis et dans une moindre mesure les hommes, les notices qui vantent ces vidéos font froid dans le dos: Jeunes femmes «explosées brutalement dans tous les sens», «déchirées», «achevées», hommes subissant d’interminables «bukkake» (inspirés des viols punitifs pratiqués au Japon) ou des tests d’endurance à la fellation profonde (étranglé ou avec le nez bouché) et, peut-on invariablement lire, «…ils/elles en redemandent».
Autre caractéristiques de ce type de film, l’élément ethnique: «latinos», «beurette» ou «blackos» sont autant de produits d’appel. Parlant du porno gay, l’universitaire Jean-Raphaël Bourge note, par exemple: «On fabrique des personnages ultra-virilisés, où plus tu es foncé, plus du es actif. Pour la promo d’un film comme Matos de blackos, on te parle des acteurs en renvoyant constamment à leur masse virile, leur animalité.»
GonzoTrès souvent porteur d’une violence et d’un racisme qui ne disent pas leur nom, le «gonzo» est emblématique de ce cinéma «all-sex», décomplexé et cynique, qui déferle sur les écrans depuis le milieu des années 90. Au carrefour du reality show et de la vidéo amateur, il représente une série de personnages plus ou moins interchangeables dans des situations stéréotypées, ultrasimplifiées. C’est «Essayages de jeunes mariées», «Petits mecs contre cash», «Pom-pom girls en audition». Et tant mieux si les images sont de piètre qualité, car elles procurent à l’ensemble la patine du vécu. Si le gonzo a acquis une part de marché importante, peut-être même dominante aux Etats-Unis, c’est qu’économiquement, il exauce tous les rêves des producteurs. Bouclé avec quelques milliers de francs, un gonzo se compose de séquences tournées avec des moyens légers, des acteurs peu expérimentés et en un minimum de temps. De là, un marketing de niche permet de rentabiliser rapidement la série, ou au contraire de l’abandonner. Dans ces conditions, à défaut de répondre à une véritable attente des spectateurs du porno, le gonzo occupe le marché. «Même s’ils essaient de se défausser, en prétendant que la demande vient du public, estime Frédéric Joignot, les producteurs ont les moyens de créer la demande.»
SilenceOù en sont les internautes «consommateurs» de ce type de «produit»? Les forums et blogs consacrés au porno ne manquent pas sur le web, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, ce qui frappe, c’est le contraste entre le déluge d’images et de textes contenus dans les sites proposant des vidéos porno et le silence qui entoure leur consommation sur Internet. Sur une large majorité de forums et de blogs, il y a aussi peu à dire qu’à lire. Aucun échange, sinon une invraisemblable quantité de matériel pornographique «gratuit».
Parmi de rares exceptions, le site lacochonne.com propose des discussions qui vont du plus vaseux (quelle chanteuse devrait se mettre au porno?) au plus épineux: Consentement, fiction, fantasmes… Les opinions s’affrontent sur ce qui est acceptable, ce qui ne l’est pas et sur les limites mouvantes du genre. En tout cas, il s’agit d’un développement bienvenu pour Frédéric Joignot: «On trouve notamment beaucoup de débats sur la violence, avec des gens qui sont conscients qu’elle les excite, mais qui expriment leur empathie pour les actrices et leur rejet de certaines scènes.»
RepèresFaire du sens avec la pornographie, c’est aussi l’ambition de Post-Ô-Porno, site d’info sur la recherche, l’art et l’activisme autour du porno, que Jean-Raphaël Bourge a créé avec autant d’humour que d’érudition: «Au départ, il y avait une demande pour un endroit où les gens puissent trouver des repères sur le porno, explique-t-il; une sorte d’expertise qui permette d’enrichir un peu le débat…» Face à l’irruption de l’ultra-réalité des gonzo, Jean-Raphaël Bourge observe avec attention les brèches ouvertes par le cinéma queer, s’inspirant du SM ou brouillant les pistes entre féminin et masculin. «Tout ce qui joue avec les archétypes et fout le bazar, résume-t-il. Mais c’est encore beaucoup de théorie, peu de réalité, reconnaît-il. Intellectuellement agréable, mais pas très bandant.» Plus important encore est le fait de court-circuiter la dynamique marchande qui semble pour l’instant la seule logique à laquelle obéit le porno: «On doit commencer par changer les méthodes de production – conception, tournage, gestion – de manière à dépasser le niveau commercial. A ce titre, je pense qu’Internet est très intéressant.»
RéenchantementDans le même temps, revoici Deep Throat, Exhibition (voir p. 14) et d’innombrable productions des années 70 estampillées «vintage». Le «porno à papa», aux scénarios naïfs et gais, redevient à la mode, témoignant peut-être d’un désir de réenchantement. Avouant aimer le porno avant tout pour son débordement, sa folie, qui en font «un conte de fées pour adultes», Frédéric Joignot regrette ainsi la fossé extrême qui s’est creusé entre pornographie et cinéma: «On a créé quelque chose de schizo, comme si l’on séparait la sexualité de l’amour.»
Arnaud GALLAYMars 2007
Pour en savoir plus:
-
Gang Bang, par Frédéric Joignot. Editions du Seuil, coll. Non conforme .