Proxénétisme?
(source: Libération)
Un hôtel un peu trop passant
-> Mise en examen pour proxénétisme des patronnes d'un établissement parisien.
par Patricia TOURANCHEAU
(Article paru dans
Libération, le mercredi 25 janvier 2006).
Au zinc d'un hôtel-brasserie rue Saint-Quentin à Paris (Xe arrondissement), à deux pas de la gare du Nord, Cécile V. s'active à servir les petits noirs et les demis avec sa soeur Sophie. Sièges en Skaï marron rafistolés au chatterton, caisse enregistreuse antique, flipper «Cactus Canyon», sculptures d'angelots qui pissent dans des fontaines et variétés françaises à fond sur RFM. Les deux bistrotières qui triment au bar sont tombées la semaine dernière avec la mère Odette, 72 ans, en maquerelles. Les flics de la brigade de répression du proxénétisme la «Mondaine» ont fait une descente dans ce modeste établissement de vingt-neuf chambres, et y ont trouvé trois prostituées avec les clients. Ces femmes marocaines et algériennes, âgées de 40 et 58 ans, ont expliqué aux policiers qu'elles racolaient en bas, à la brasserie, des hommes nord-africains eux aussi, auxquels elles réclamaient 20 euros pour la passe et 20 euros pour la location de la piaule à verser aux patronnes.
Business.
Les policiers ont établi que «sept prostituées régulières tournaient dans ce bar-hôtel, de connivence avec les gérantes» et que le business rapportait à la famille V. «8 500 euros par mois». Estomaquée par une telle affirmation, Cécile, qui porte un pull informe et un pantalon de toile, balaie l'endroit de ses mains de travailleuse aux ongles rongés : «Ah ouais, vous croyez qu'on vit dans le luxe ici ! C'est pour ça que je me lève tous les jours à 7 heures et que je me couche à une heure du matin.» Elle n'a que 33 ans mais le visage marqué d'une fille qui en a vu, sans maquillage ni coquetterie.
Ses parents auvergnats ont débarqué à Paris «sans rien d'autre qu'une valise» et ont bossé pour «payer une chambre, se nourrir, se blanchir». Ils ont économisé puis investi dans cet hôtel de gare, non loin du café La Pinte du Nord. Ils ont aussi acheté un appartement sans faste dans le quartier, rue de Maubeuge. Ils ont tout connu au bar, «les Blousons noirs, les toxicos, les clients bizarres qu'il faut sortir» sans se prendre de coups. Ils ont mis les filles dans le bain : «A 10 ans, fallait aider à nettoyer les chambres quand la femme de ménage était absente», dit Cécile. Et puis, il a fallu casser les prix pour remplir les chambres «avec cabinet de toilette, bain, douche», et accueillir les prostituées au café pour attirer les clients. D'après les policiers de la Mondaine, les parents V. ont déjà plongé pour proxénétisme hôtelier «il y a dix ans», et les filles ont organisé la «réplique» de ce «qui avait causé une sanction» par «intérêt commercial». Entretemps, voilà trois ans, elles ont perdu leur père, «son coeur avait triplé de volume». Elles ont recommencé et ne comprennent pas l'acharnement des policiers : «Je ne vois pas ce qu'ils veulent faire, repousser les filles dans la rue, sans lieu ? Ou supprimer la prostitution ? Arrêtons ce délire dans Paris. Car la prostitution ne peut pas disparaître, ou alors ils n'ont qu'à couper la queue à tous les mecs.»
Exploiter.
Cécile les connaît bien ces clients «veufs ou seuls, ceux dont les épouses sont malades ou ceux dont les femmes ne font pas au lit ce qui leur plaît». La misère sexuelle couplée à la misère sociale de celles qui se vendent : «Elles sont souvent divorcées ou seules avec des enfants, elles préfèrent ce métier à celui de femmes de ménage. A la télé, on montre les call-girls habillées de vêtements de luxe ou les droguées qui font ça pour s'acheter leurs doses. Des stéréotypes. Il y a énormément de prostituées pauvres dans Paris qui n'ont plus le droit de se déplacer dans les rues.» Epinglées pour racolage depuis la loi Sarkozy, chassées des Bois ou des beaux quartiers de Paris. Cécile n'a pas le sentiment de les exploiter et renvoie la balle à l'Etat qui «taxe les prostituées comme les cigarettes». Elle tient un «lieu populaire», «pas un hôtel de passes» : «Faut respecter l'indépendance de ces femmes. C'est pour ça que les maisons closes, c'était pas le mieux. Mais ce serait bien de leur donner des lieux, et des visites médicales gratuites.» Dénoncées par un commerçant concurrent de la rue Saint-Quentin, la mère et les deux filles V. sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris pour «proxénétisme hôtelier».
(source:
Libération)