On ne naît pas homme ou femme
Photo: Naiel / Natacha Lemoine (Pour une autre approche!)
-> Un article lu sur :
www.lesoir.be (Belgique)
Changer de sexe est devenu plus « facile » sur le plan administratif. Une plongée dans le monde du transsexualisme. Entre tabous et souffrances intimes.
Comme Morgan ou Megan, de plus en plus de personnes décident de changer de sexe. Depuis peu, une simple procédure administrative suffit pour officialiser cette transformation.
Le 1er septembre 2007 tombait un samedi. Le lundi 3, Megan était à la maison communale. Avant l’ouverture des guichets. « J’avais imprimé le nouveau texte de loi, au cas où le fonctionnaire n’aurait pas été au courant, explique Megan. Il m’a regardée bizarrement. »
La nouvelle loi concernant les transsexuels est passée quasi inaperçue. Votée juste avant la dissolution des chambres, au printemps dernier, elle est donc entrée en vigueur le 1er septembre dernier. Désormais, les personnes qui désirent changer officiellement de sexe et de prénom ne doivent plus passer par la voie judiciaire mais peuvent suivre une procédure administrative, plus simple et moins coûteuse.
La personne doit simplement se rendre auprès de l’officier d’état civil munie de plusieurs documents, dont son acte de naissance et les déclarations de deux médecins indépendants, psychiatre, chirurgien ou endocrinologue. Ceux-ci doivent attester que la personne a la « conviction intime, constante et irréversible d’appartenir au sexe opposé à celui de la naissance. Et que le corps a été adapté dans les mesures du possible. » En Belgique, on estime à 2.000 le nombre de transsexuels. En 2005, 32 personnes avaient officiellement changé de prénom. Pour 22 en 2006.
Le corps de Megan, 28 ans, a été « adapté » à la limite du possible. D’abord par un traitement hormonal. Des seins et des hanches sculptent aujourd’hui sa silhouette qui ondule à la manière d’une sirène. Le geste gracile dans sa chevelure blonde. Les traits doux. « Jusqu’aux bouffées de chaleur ! Je comprends les femmes ménopausées », sourit-elle.
La métamorphose de Megan a duré trois ans. Encadrée par une équipe de psychiatres, psychologues et endocrinologue, à Liège. « Il faut établir le bon diagnostic, explique Christian Mormont, professeur de psychologie clinique à l’Université de Liège. Tous les troubles de l’identité sexuelle et de genre ne conduisent pas à un changement de sexe. Il faut distinguer les personnes psychotiques. » La métamorphose commence par une période où l’on mène la vie de l’autre sexe. « Les femmes en tenue d’homme passent plus inaperçues…, note Christian Mormont. Certains passent par la chirurgie esthétique pour corriger les pommettes ou le menton. Un traitement hormonal affine la transformation. L’opération n’est envisagée qu’après un an. Certains finissent par changer d’avis. »
Megan se souvient très bien de cette période « chrysalide »… « C’était à ces médecins de déterminer si j’étais bien apte à subir une opération. J’ai flippé au moment du verdict. Ils allaient déterminer ma vie… » Megan a subi une vaginoplastie en août 2006. « J’étais mal dans ma peau, il fallait que ça change. »
Mais qu’est-ce qu’un homme ou une femme ? « Il ne faut pas confondre l’identité de genre et l’identité sexuelle, poursuit Christian Mormont. L’identité de genre s’établit très tôt, en fonction du regard des autres. Il y a eu une étude, dans une pouponnière. Les filles ont été habillées comme des garçons, et inversement. On a donné à chaque enfant un prénom du sexe opposé. Les résultats étaient assez frappants : les adultes avaient tendance à “bousculer” un peu plus les enfants habillés en garçon. »
En Belgique, très peu de chirurgiens pratiquent les opérations de changement de sexe. Le professeur Stan Monstrey, à Gand, est l’un des plus réputés. Il est l’un des rares en Europe à réaliser des phalloplasties (un pénis est construit à l’aide d’un lambeau du tissu prélevé au niveau de l’avant-bras).
« Il y a quinze ans, quand j’ai commencé, je n’avais qu’une opération par mois, explique le Pr Monstrey. Aujourd’hui, j’en compte deux ou trois par semaine. La moitié des patients viennent de l’étranger. »
A Gand, une vaginoplastie coûte environ 12.500 euros. Il faut compter 30.000 euros pour une phalloplastie. Après remboursement de la mutuelle, le patient paie environ 15 % de ces montants. « Les transsexuels sont donc reconnus par la société, note Stan Monstrey. Il ne s’agit pas de chirurgie esthétique. »
Après l’opération, les patients poursuivent un traitement hormonal toute leur vie. « A Liège, nous suivons environ 200 personnes, précise Jean-Jacques Legros, endocrinologue. Des centres privés pratiquent également ces interventions. Certaines personnes n’hésitent pas à se rendre à l’étranger, au Maroc ou en Thaïlande, pour changer de sexe. Sans les garanties de suivi médicale et psychologique. »
Les origines du transsexualisme sont méconnues. « Selon une théorie, c’est le désir de la mère qui détermine l’identité de genre, poursuit Christian Mormont. Mais cela reste mystérieux… La première opération a eu lieu en 1953. Avant, il n’y avait rien à faire… Les transsexuels étaient considérés comme des fous. »
Morgan, 56 ans, est une pionnière. Elle a été opérée 13 fois. La dernière opération a eu lieu le 2 décembre 1987, à Rotterdam. « J’étais au bord du suicide avant cela. » Morgan se considère comme une rescapée de sa génération. « Les autres sont mortes du sida ou se sont suicidées. » Pour Morgan, la nature lui a fait une farce. Elle sort une photo d’elle quand elle avait cinq ans. Coupe au carré, les mêmes grands yeux noirs qu’aujourd’hui, les traits fins. « J’entendais toujours : “Oh quelle belle petite fille !” Mais quand un ballon arrivait vers moi, je voulais l’attraper avec mes mains… Les autres allaient m’écharper. »
Morgan vit aujourd’hui recluse dans un petit appartement bruxellois. Ses voisins ne sont pas au courant que cette belle brune élancée était autrefois un homme. Elle a vécu une vie de bâton de chaise. « Je suis passée par la prostitution. C’était de l’argent rapide. »
Megan a quant à elle toujours refusé de se prostituer. Elle est secrétaire dans la fonction publique. « Je n’ai jamais voulu être une diva de music-hall. Je me suis battue pour vivre une vie normale, pour garder mes amis. Je viens d’une famille bourgeoise de Woluwe-Saint-Pierre : bermuda en velours et messe le dimanche… J’ai senti très vite que quelque chose n’allait pas. A l’adolescence, je ne me sentais pas attirée par les femmes. J’ai d’abord pensé que j’étais homo. J’ai donc commencé à sortir dans les boîtes pour homosexuels. Mais je ne m’y retrouvais pas… Je suis ensuite allée dans les clubs pour travestis. Puis avec des “transgenres”, qui ont des gros seins et un pénis. Ça n’allait pas non plus. »
Pour Aude Michel, originaire de Liège et aujourd’hui maître de conférences à l’université de Montpellier, il ne faut pas confondre transsexualisme et transgenre. « On peut modifier le corps de manière réversible : ajouter des seins ou les enlever. Les personnes peuvent donc être hommes ou femmes en fonction des périodes de leur vie. En consultation, notre rôle est de déterminer de quel profil il s’agit. »
Dédé, 52 ans, n’a pas été opérée. Assise dans sa vitrine de la rue des Plantes, à Bruxelles, elle serre ses longues jambes coincées dans des bas résille… Dédé assume sa métamorphose inachevée.
« Pour moi, on opère trop vite. Je me sens totalement femme dans ma tête. Je l’ai toujours assumé. J’étais décolorée à 14 ans. Bien sûr, j’ai aussi dû supporter quelques ricanements… La vie n’est pas toute rose. J’ai toujours fait la pute, dès l’adolescence. Mais je ne me laisse pas toucher. Les clients ne voient rien. »
La prostitution a longtemps été la voie tracée pour les transsexuels. Morgan aussi est passée par là. D’autant qu’il n’est pas facile de trouver du boulot quand on a des seins… et que sa carte d’identité indique le sexe masculin. « On vous regarde bizarrement, note Dédé. Pareil à la poste ou à la banque, ou encore pour aller voter. Vous devez chaque fois expliquer qu’il s’agit bien de vos papiers… »
La vie de Megan sera probablement plus simple que celle de ses aînées. « Je me compare à une personne obèse qui aurait maigri. J’ai changé physiquement. C’est tout. »
à 22:47